Ces trois dernières années, rarement la violence dont est capables les forces de l'ordre ne s'est autant affichée dans les médias. Si les "bavures" pouvaient parfois émouvoir lorsque la presse daignait les mentionner, l'argumentaire des brebis galeuses et égarées du droit chemin républicain s'est imposé au fil du temps. Car s'il y a bien un thème cher à nos politiciens de tous bords, c'est bien cette sécurité que devrait assurer les force de l'ordre quand bien même les chiffres montrent une baisse constante de la criminalité et que le métier de gardien de la paix consiste bien plus en des tâches administratives qu'à courir après la "racaille". Certainement galvanisés par l'atmosphère d'insurrection propagées par les Gilets Jaunes et les nombreuses agressions terroristes qui les visent, la police est plus que jamais puissante et en phase de concentrer les pouvoirs.
Didier Fassin nous explique en partie comment en est-on arrivé là, après des années de politiques répressives et du primat des fonctionnaires de police, choyés par les gouvernements successifs en même temps qu'abattus par des logiques productivistes qui n'ont aucun sens avec l'objectif de la profession. Le livre étant paru en 2005, il me semble que si ses conclusions sont toujours pertinentes, c'est que les analyses de Fassin détiennent au moins une part de vérité. Au-delà des visions partisanes (de gauche comme de droite), il y a un réel problème avec la police, ses méthodes de recrutement, les pressions qu'elle subit autant que la répression violente dont elle est parfois coupable que ce soit par idéologie politique ou par un zèle statisticien. Que font les policiers à l'abri du regard des citoyens, que se passe-t-il derrière les murs du commissariat ? Autant de questions auxquels les émissions d'investigation (si tant est qu'on puisse les qualifier ainsi) n'ont jamais répondu, s'évertuant à présenter des flics de séries télé, des gros durs qui roulent des mécaniques devant les caméras comme des acteurs rôdés à l'exercice.
Il ne reste donc que l'ethnologue, observateur dépassionné mais néanmoins intéressé, pour proposer d'autres pistes de réflexions et nous confronter à une réalité bien plus nuancée que celle présentée, bien souvent, par des gens qui n'ont jamais mis les pieds au cœur de l'institution, au-delà de ce que cette dernière veut bien montrer. Même si Didier Fassin a défendu son livre sur les plateaux télé et les émissions de radio les plus diverses - sachant par avance que ses détracteurs s'en donneraient à cœur joie - son livre n'a connu qu'une petite notoriété, boostée notamment par l'émission Youtube "Mes chers contemporains" d'Usul. Pourtant, le livre, quoique longuet par moment, est simplissime. Tout est dans le titre et dans ce glissement sémantique entre les "gardiens de la paix" (que l'on n'utilise guère plus pour désigner la police) et les "forces de l'ordre" qui s'accompagne d'ailleurs d'une nouvelle expression flambant neuve, le "maintient de l'ordre".
On comprend donc aisément les crispations autours des violences policières en ce qu'elles ne questionnent pas tant les agents de police en tant qu'individus potentiellement violents que l'ordre que l'institution policière est censée protéger et ce qu'elle met en place pour le maintenir. Autrement dit, si l'état détient le monopole de la violence légitime, on peut néanmoins questionner la légitimité de certaines violences et à quel point sommes-nous prêts à les accepter.