Depuis sa rédaction en 1888, cette chronique a connu une large diffusion dans les milieux anarchistes et une dizaine de rééditions. Le journaliste Octave Mirbeau (1848-1917) exprime son atterrement devant les files d'électeurs-esclaves qui se pressent aux urnes pour désigner leurs maîtres ; et heureux de choisir la couleur des chaînes encore ! "Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit". Il décrit la victime puis décrit le bourreau : "l'homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu'en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu'il ne te donnera pas et qu'il n'est pas d'ailleurs, en son pouvoir de te donner."

Fait regrettable, dans le texte Prélude, souvent présenté avec La Grève, Mirbeau verse dans un anticapitalisme classique, condamnant comme Marx la nature bourgeoise de la démocratie. "Il la célèbre, cette Révolution qui n'a même pas été une révolution, un affranchissement, mais un déplacement des privilèges, une saute de l'oppression sociale des mains des nobles aux mains bourgeoises et, partant, plus féroces des banquiers ; cette révolution qui a créé l'inexorable société capitaliste où il étouffe aujourd'hui". Par la Mirbeau ne dénonce pas le seul capitalisme de connivence, quand les entreprises se font attribuer des privilèges (les États sauvant des banques de la faillite par exemple) - évidemment critique pertinente - non, il vise toutes les situations où les travailleurs ne sont pas les propriétaires des moyens de production. La démocratie représentative est bourgeoise, nous votons pour des bourgeois, fatalement ils défendent leurs intérêts de classe. Et la démocratie directe ? Mirbeau ne l'évoque pas dans ce texte, mais je mange mon chapeau s'il ne la soutient pas a contrario, oubliant qu'elle n'est pas moins coercitive pour l'individu, puisque c'est toujours une majorité qui décide pour une minorité, et que "décider" ne veut rien dire d'autre que légiférer, à savoir réglementer, à savoir limiter les libertés individuelles.

La prose mirbellienne est mordante, hélas l'analyse manque de profondeur. Ce n'est pas la finalité de la démocratie qui mérite nos critiques, mais la démocratie en tant que moyen. Je conseille plutôt la lecture de Dépasser la démocratie de Frank Karsten et Karel Beckman.
J_J_
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le 12 avr. 2014

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