A une époque où James Ellroy se perd dans les méandres du personnage qu'il est, Don Winslow vient gifler violemment quiconque aime se plonger dans la noirceur de l'Homme. Car, au fond, là est bien le sujet de La Griffe du chien.


On y suit la vie, ou plutôt la non-vie, des différents protagonistes de la guerre contre la drogue et ses dommages collatéraux. Et il y en a beaucoup. Un vaste sujet aux milles points de vue que Winslow croque dans ce pavé aussi lourd que l'âme des personnages. Avec une écriture empruntant au Ellroy des grandes heures - à savoir, simple, sec et direct - l'auteur parvient à catalyser tous les enjeux de ce conflit et y extraire la nature de l'Homme : il lui est impossible de faire le Bien sans passer par le Mal. Un jugement de la part de Winslow ? Non, un simple constat. Dans ces terribles ténèbres, il existe toutefois des passages lumineux, touchants. Et on ose espérer, tout au long de notre lecture, quelques rédemptions.



Nous dépensons pratiquement deux milliards de dollars à empoisonner
les cultures de cocaïne et les enfants de cette région, et il n'y a
pas suffisamment d'argent au pays pour aider qui veut arrêter sa
dépendance à la drogue.



Au-delà de ce fond d'une richesse et d'une pertinence incroyable, surtout avec une telle fluidité dans la narration, l'écrivain américain fabrique un thriller dès plus haletant. Extrêmement documenté et précis, il nous permet de saisir les tenants et les aboutissants d'une situation ayant atteint le point de non-retour. C'est une impasse, le chien qui se mord la queue, un cercle infini, bref, un bourbier sans fond où se débattre ne fait qu'empirer la chose. Il est ainsi impressionnant de découvrir les différents intervenants, leurs impacts et leurs pouvoirs.
L'ensemble des protagonistes sont très bien caractérisés, totalement crédibles. On adore les détester tout autant qu'on s'y attache. Leurs agissements et leurs réactions sont si réalistes que l'on se demande parfois si nous n'aurions pas agit de la sorte.
L'action, quant à elle, est au service de l'histoire et écrite avec un puissant réalisme. Il est aussi nécessaire de souligner l'excellente spatialisation de celle-ci ainsi que son découpage. Les affrontements y sont lisibles.
Enfin, on voyage, de la froideur d'un hiver new-yorkais à la chaleur tropicale de la Colombie en passant par l'aridité du Mexique, ce roman nous emmène sur les différentes zones de conflits avec de belles descriptions. On ressent alors les éléments, les chocs, les bruits, les odeurs… La souffrance, souvent.



On lui a fourré un gant de toilette dans la bouche, il a les yeux
exorbités. Inutile d'être Sherlock Holmes pour comprendre qu'ils lui
ont tranché les mains et l'ont laissé se vider de son sang.



On ressort de La Griffe du chien fatigué de vivre dans un tel monde mais impressionné par l'aisance dont fait preuve Don Winslow. Tout aussi imposant qu'important, ce roman rappel qu'il ne faut pas être ignorant du monde dans lequel nous nous trouvons mais qu'il nous faut quand même être dans le déni pour pouvoir y survivre.

Seenzek7
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le 22 juil. 2020

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