Je compte l'Allemagne parmi les pays qui me fascinent le plus. Parfois, il m'arrive de mettre en relation toutes ces choses avec lesquelles cette nation occupe mon esprit, cela pour obtenir toujours un contraste évident (et peut-être, hélas, un rapprochement) entre la grandeur de sa culture et l'horreur de sa conduite lors de la seconde guerre mondiale. Alors certes, à l'échelle du temps, l'une ne vaut pas l'autre ; mais en matière d'intensité, je me pose la question.
La Grimace est un roman de mœurs sur l'Allemagne des années 50, écrit par Heinrich Böll, prix Nobel 1972, souvent, d'après ce que j'ai lu, conspué de son vivant par ses compatriotes.
Le narrateur est Hans, un clown alcoolique, fauché, hanté par la disparition de sa jeune sœur partie défendre la "terre Allemande sacro-sainte contre les judéo-yankees" (pour reprendre les termes d'un professeur dont je reparlerai après), et profondément affecté par sa rupture avec Marie, celle qu'il aime.
Ces deux manques reviennent au fil du récit comme le ressac, sans jamais être traités de façon pathétique. Le style est cynique, semble viser le mot juste, ne recherche pas le non-dit mais ne s'envole jamais. C'est terne. Mais l'Allemagne décrite est terne.
La mort de sa sœur et le départ de sa compagne servent d'appuis au cynisme et à la morale de Hans. C'est ce qui lui donne un angle d'attaque.
Premièrement, quand il met en évidence l'hypocrisie de la société allemande vis-à-vis du nazisme. Je reprendrais pour exemple le professeur en début d'ouvrage qui estime, lors de la guerre, qu'il faut défendre la "sacro-sainte" Allemagne contre "les judéo-yankees" et dont le narrateur écrit peu après :
N'ayant jamais adhéré au Parti, il passe pour un homme "au passé politique irréprochable".
Secondement, quand il s'en prend à l'atmosphère christianisée du pays. Car, en effet, Marie, son amour, est très catholique, et Hans reproche aux religieux de l'avoir éloignée de lui en avançant des arguments en aucun cas légitimes. A ses yeux, ils l'ont poussée à commettre un adultère, et il n'a de cesse de rejeter le catholicisme comme le protestantisme.
Et je dois dire que ces deux satires me laissent interrogatif. Non pas sur le roman lui-même, mais sur la période telle qu'elle est décrite. Car Heinrich Böll dresse un mur face à moi.
Ce que je recherchais dans cet ouvrage, c'était l'ambiance de l'Allemagne des années 50, c'est-à-dire de l'après-guerre presque directe : qu'est-ce qu'il se passe moralement au sein d'une nation quand elle a déclenché une guerre faisant 60 millions de morts en 6/7 ans ? Ce que nous apprend la description d'Heinrich Böll, qui est bien entendu accentuée, mais néanmoins révoltante, c'est que la seconde guerre mondiale semble peu exister à ce moment-là dans l'esprit allemand. Il y a une forme d'indécence et de mystère à sentir les choses évoluer "comme si de rien n'était". Cela nous paraît parfaitement inconcevable, mais peut-être que l'une des clés est cette phrase utilisée très scolairement en guise de titre pour cette critique : des aveugles qui jouent aux aveugles...
Autre point qui reste brouillé pour moi : le rapport du personnage principal à la religion. Ça devrait être simple : il passe son temps à montrer qu'elle sonne creux. Sauf que le cynisme de Hans est moraliste. Quand il va jusqu'à écrire, de manière tout à fait ironique, que sa chérie, en lisant la Bible à son mari, doit "se faire l'effet d'une traîtresse ou d'une putain", où se situe-t-il par rapport à la religion qu'il rejette ? Il argumente tellement en mettant en avant l'incohérence des religieux qu'on ne sait plus, à certains passages, s'il revendique, plus aucune religion, ou, au contraire, plus de religion. Dans la morale qu'il construit, quelque part, il lui arrive d'être plus catho que les catho, et cela m'a laissé légèrement perplexe.
Pour finir en vitesse, je dirais que ce n'est pas un livre que l'on conseille comme ça... Une certaine appétence pour la thématique est nécessaire. Du reste, on a vu des romans de mœurs plus éclatants.