La Guerre des loups par leleul
Deuxième partie : Vous aimez les loups ? Moi non !
Attention, cette fiche contient des morceaux d’opinion tranchée, sans concession, susceptibles d’être considérés par les âmes sensibles comme une agression intolérable, élitiste et carrément méchante (bouh ! c’est pas gentil). Leur mode de vie risque d’en être définitivement bouleversé, les poussant à voter pour un pouvoir fort et à réclamer la peine de mort pour rétablir la justice et la tolérance sur la Terre et au Ciel.
Amen.
Make Louve, not WarDog
Je dois l’avouer humblement sur mon rail, le goudron à peine sec et les plumes menaçant de me faire éternuer, lorsque j’ai entamé la lecture du second volet de La Moïra de Henri Loevenbruck, j’étais frébile.
Certes, ce n’est pas que l’impatience a miné mes jours et mes nuits, m’excluant de la bonne société et me poussant à laisser croître ma barbe, à ne plus me laver, même sous les aisselles, à porter les mêmes vêtements, à uriner pour marquer mon territoire, à me rouler par terre, les quatres pattes en l’air devant mon supérieur, à hurler à la lune montante…
NON ! Rien de tout cela.
J’étais fébrile parce qu’enfiévré par la perspective de me replonger dans cette saga louvetière épique (pique et pique et colegram…) et bouleversante, une vraie petite mort intellectuelle, après tant d’autres lectures plus… enfin… Vous voyez bien… D’autres lectures quoi.
Donc, c’est avec les doigts tremblants, les paumes moites, les yeux larmoyants (non, non ! Ce n’est pas l’émotion) que j’ai tourné la première page et là…
STUPEUR !
Le début était identique.
« La mémoire de la terre est étrangère à celle des hommes. On croit tout connaître de l’histoire et du monde, mais il est des âges anciens où vivaient encore mille merveilles aujourd’hui disparues. »
Foutre ! Aurais-je repris par mégarde (mes doigts tremblaient et mes yeux larmoyaient, je vous le rappelle) le même tome. Quelques lignes supplémentaires ont fort heureusement fait taire mon angoisse. Henri Loevenbruck a usé du procédé littéraire très prisé en fantasy épique : le déjà-vu (trilogie).
D’ailleurs, les premiers chapitres m’ont rassuré définitivement. On y retrouve d’entrée le très méchant et toujours très musclé Maolmordha.
« Rares étaient les disciples de Maolmordha qui avaient eu le privilège – terrifiant – de regarder leur maître dans les yeux. On disait même que c’était un mauvais présage. Que tous ceux qui avaient dû lever le regard vers le seigneur des gorgûns avaient péri dans les heures, les jours, ou les semaines qui avaient suivi. Et ce messager-là ne fit pas exception. En entrant dans la salle du trône, la pièce la plus obscure du palais, il comprit aussitôt qu’il n’en sortirait pas vivant. [Belle illustration de l’adage philosophique : noir, c’est noir. Il n’y a plus d’espoir]
Maolmordha était assis, silencieux, dans son haut siège sculpté dans des ossements humains. La lumière rouge de la lave qui coulait dans les bassins tout autour emplissait l’espace comme un halo phosphorescent. On entendait simplement le bruit des chaînes aux pieds d’une esclave mutilée et les remous de la lave en ébullition dans les vases. Le maître avait demandé qu’on ne le dérange sous aucun autre prétexte que l’arrivée de ce messager. La lenteur des gorgûns avait déjà provoqué sa colère. Plus rien ne pourrait sauver celui qui allait apporter la mauvaise nouvelle. [Indication pour ceux qui n’ont encore rien vu venir. On ne peut pas reprocher à Henri Loevenbruck de ne pas se mettre à la portée de son lectorat]
Et en effet, quand il apprit la mort des chevaliers Herilims, Maolmordha entra dans une rage folle. Son cri déchira l’atmosphère gluante [jolie image] de la salle du trône. Il se leva brusquement et attrapa le visage du messager de ses deux mains pour le regarder droit dans les yeux. Le veilleur se mit à trembler de tout son corps. Il aurait voulu crier, mais la peur lui avait enlevé tout contrôle. Il ne sentait même pas les larmes sous ses yeux, pas même la sécheresse soudaine de sa gorge. Les doigts de Maolmordha serraient. De plus en plus fort. Comme un étau sur son visage. Ses joues s’empourpraient et ses yeux s’emplissaient de sang. Le sang qui battait à ses tempes et faisait bourdonner ses oreilles. Puis Maolmordha serra encore plus fort. Et le veilleur sut que c’était la fin. Les os de sa tête cédèrent sous les mains de son bourreau [On pourrait demander à Bidibulle quelle pression il faut déployer pour faire éclater le crâne d’un gorgûn mais les données manquent en ce qui concerne l’épaisseur de la boîte crânienne. On peut supposer cependant qu’elle est épaisse]. Les fragments de la calotte crânienne se mêlèrent au cerveau et au sang dans une bouillie visqueuse, et le corps du messager s’écroula sur le sol. »
Sacrément mordu ce Maolmorfdha. Et toujours très méchant. Pourtant, le maousse se ressaisit rapidement. Il fait rassembler les hordes de gorgûns et médite afin de choisir un nouveau champion pour défendre sa cause maléfique.
Pendant ce temps, le moral n’est pas très haut chez les gentils. Il faut dire que le druide Phelim est mort dans le tome précédent [lisez-le pour savoir dans quelles circonstance tas de fainéants]. La compagnie est en pleurs et séparée en deux groupes. Néanmoins, il leur faut vite se consoler car la guerre menace en Galia et, de plus, Aléa sent monter en elle le Saîman.
« La jeune fille était emplie du saîman. Il était toujours présent, désormais. Latent. Prêt à bondir dans ses veines. Montant dans son corps à la moindre alerte. Elle ferma les yeux et essaya de reproduire ce que Phelim avait fait dans le tunnel de Borcelia. […]
Soudain, le Saîman se répandit autour d’elle. Langoureuse lave d’un invisible volcan. Les nuées magiques grandirent de toutes parts, pénétrant l’air tranquillement. Et Aléa vit le monde avec l’esprit. Elle vit ses deux amis. Elle vit les arbres, et au-delà. Le visage de la jeune fille était complètement fermé quand soudain elle expira et ouvrit grand les yeux [Je sais à quoi vous pensez, petits sacripans]. Ses deux compagnons sursautèrent. »
Le temps de l’adolescence est donc révolu. Aléa, déniaisée par le saîman, doit assumer son rôle de Samildanach. Au passage, on apprend dans ce tome que ce terme d’origine Tuathanns, veut dire Celui qui a tous les pouvoirs ou plus exactement polytechnicien (page 222). Une référence à classer X donc.
Aléa tire grand profit de cette promotion et use à de nombreuses reprises du saîman au cours du roman. Tout est bon pour cela, démolition de mur, création de bouclier de force, projection d’onde de choc, le classique boule de feu, palpation spectrale, manchette japonaise, brouette suédoise… pardon, je m’égare.
Bref, la jeune fille à peine pubère, est désormais réglée comme une horloge. Elle s’impose en meneuse de compagnie et s’empresse de passer en revue ses forces. La louve Imala lui est totalement fidèle. Elle a bouffé un chien, histoire de se remettre en forme. Le Magistel Galiad et son fils Erwan sont hors de portée. Reste le nain Mjolln et la barde Faith pour l’accompagner à Mont-Tombe, le sanctuaire chrétien, où se trouve la réponse aux trois prophéties qu’elle doit accomplir.
Pendant ce temps, ces ennemis potentiels s’organisent.
A Saî-Mina, le conseil des druides prépare la guerre contre les chrétiens du comté de Harcourt. Mais, ses membres ne sont pas tous unanimes quant à la politique menée. Certains doutent, en particulier le très récent Grand-Druide Finghin.
« Voudriez-vous être dehors ?
Finghin sursauta. Il avait reconnu la voix de l’Archidruide. Ernan s’était approché sans faire de bruit et l’observait peut-être depuis longtemps. En temps normal, Finghin aurait dû l’entendre arriver, mais il était tellement perdu dans ses pensées que le monde extérieur peinait à l’atteindre. Il se redressa sur son siège. Il essaya de ne pas montrer que la question de l’Archidruide le troublait. […]
Il se doute que je pense à Erwan. Il m’avait prévenu. Faire de lui mon Magistel n’était pas une bonne idée. Qu’avait-il dit déjà ? « Idiot mais généreux ». Quand il me demande si je préférerais être « dehors », il veut dire « loin », auprès d’Erwan… Il va falloir que je m’habitue. Les gens ne me parleront jamais comme avant. Il faudra que j’apprenne à tout décoder. »
On remarquera au passage que Henri Loevenbruck décode aussi pour le lecteur peu habitué aux subtilités druidesques.
Plus loin, l’auteur peroxydé place La sentence philosophique werberienne qui tue.
« Les loups savent que ce qui compte par-dessus tout, c’est la survie du clan. Le futur. Il arrive dans ces cas-là que la meute doive se séparer de l’un de ses adultes. Commencent alors conflits et batailles entre le couple dominant et un autre loup du clan. Et souvent, les combats deviennent si violents que le loup harcelé finit par céder et quitte la meute pour toujours. […]
Ce qui est intéressant, Finghin, c’est que le loup qui est chassé n’est pas toujours le plus faible du clan. Certes, c’est souvent celui qui est le moins élevé dans la hiérarchie du clan, mais ce n’est pas forcément le plus faible physiquement… Vous me suivez ?
Quand le besoin de l’individu est plus fort que celui du groupe, il vaut alors mieux que l’individu soit exclu du groupe, ne serait-ce que provisoirement, pour préserver son équilibre. Et cela peut très bien fonctionner. Il faut savoir s’exclure. Ce qui compte, Phelim nous l’a appris, c’est être fidèle à soi-même. Même quand être fidèle à soi-même vous empêche de rester… dans un groupe. »
Le destin de Finghin est donc tracé. Il doit prendre la route, abandonner le confort pour rejoindre Aléa. Chemin faisant, il rencontre deux saltimbanques, des cheminants à l’éthique très Peace and Love et tombe amoureux de la fille.
Pendant ce temps (bis), dans le comté chrétien d’Harcourt, Henri Loevenbruck place un nouveau personnage : le druide-évêque Samael/Natalien.
« Samael se plaisait fort bien dans la peau de l’évêque Natalien. On le respectait et on le craignait. Sa dévotion pour le Dieu chrétien semblait plus forte même que celle d’Aeditus, et Samael mettait un point d’honneur à jouer son rôle avec un zèle irréprochable. Il faisait mine de prier aux heures de prière, il ne manquait pas une seule messe, punissait les pécheurs, honorait les Soldats de la Flamme les plus consciencieux et sa chasteté ne faisait de doute pour personne. Il portait avec élégance ses insignes pontificaux, aube mauve, mitre épiscopale… L’ancien druide était devenu un parfait représentant du clergé D’Harcourt. »
Superbe spécimen du traître qui ne trompe personne. On en aime davantage Henri Loevenbruck pour cela.
Plus loin, les Tuathanns tout frais sortis du Sid – le monde d’en-bas où le temps ne s’écoule pas comme en haut – fêtent leur victoire et leur big boss songe à la poursuite de la vengeance de son peuple.
« Sarkan le jeune, chef du clan Mahat’angor – et ainsi de tous les Tuathanns – était assis en tailleur dans la grande pièce qui lui servait de quartier général, devant un haut miroir doré de
Bisagne. Seul face à sa propre image, il essayait de dompter son impatience, de saisir le temps et de vivre à la mesure de chaque seconde. Son corps parfait se reflétait dans le miroir ; muscles saillants, dos droit, larges épaules, et la crête de ses cheveux bleux taillée avec soin. »
Punk mais pas trop donc.
Pendant ce temps (ter), le roi Eoghan Mor de Galatie et sa très intrigante épouse réfléchissent au lit à la manière de couper les ponts avec l’envahissant conseil des druides.
« Le Haut-roi entendit sa femme soupirer dans le grand lit derrière lui. Il se retourna et vit qu’elle s’était redressée pour s’adosser à la tête du lit. Elle était sublime. Petite beauté cachée des terres galatiennes. Elle n’était pas née noble et l’on avait persiflé jusqu’en Bisagne lorsqu’il avait annoncé qu’il allait épouser la fille d’un forgeron, mais quand il présenta sa future femme aux nobles de Sarre, de Bisagne et de sa propre cour, plus personne n’osa médire tant elle était belle et décidée, tant son regard était empli de noblesse et son discours hardi. […]
Comment est la nuit ? demanda-t-elle en souriant au roi.
Comme vous, mon charme. Etrange et belle !
Amine se leva à son tour. Elle était nue mais elle marcha à travers la pièce sans la moindre pudeur. Et elle n’avait pas à en avoir. Son corps était parfait. Ses hanches fines, ses jambes longues, son ventre lisse comme la peau d’un nouveau-né, sa poitrine ravissante, comme dessinée par la main inspirée des plus grands maîtres bisagnais. Et son visage, si jeune et si sûr à la fois.
Comme il fait chaud ! Exhala-t-elle.
Voulez-vous que je mande un bain froid ? S’enquit le roi. [Rhabillez-vous chenapans] »
Vous l’aurez compris, l’intrigante reine Amine n’a pas l’intention de faire uniquement de la broderie dans son boudoir.
Voilà pour le contexte et les personnages. Inutile de raconter l’histoire. Ce serait faire de l’enrobage superflu et risquerait de déflorer la prose ciselée à la barre à mine, le style répétitif pour Q.I. à la ramasse de Henri Loevenbruck, et peut-être même pousserait-on le lecteur potentiel à imaginer des choses qui n’existent pas.
Signalons cependant que le récit abonde en batailles avec un rendu des combats qui est proprement confondant.
« Une vive flamme bleue s’échappa de l’Epée de Nuadu, prolongeant la lame de plusieurs mètres. Le gigantesque arc de cercle faucha un à un les Tuathanns et leurs montures. Ce fut comme cinq explosions successives, mais la lame ne vibra pas une seule fois. Elle acheva son mouvement avec grâce et puissance, dans un sifflement foudroyant.
Le cheval, passé de l’autre côté de l’ennemi, continua son galop sur quelques mètres. Le cri de Samael s’éteignit, et l’Epées de Nuadu retrouva le blanc de son acien trempé.
L’ancien druide tira sur les rênes. Sa monture s’arrêta. Il ne se retourna pas tout de suite. Il savait ce qui était derrière lui. Il n’avait aucun doute. Il reprit lentement son souffle, un sourire au bord des lèvres, enveloppa l’épée dans la grande étoffe brune, et l’attacha à sa ceinture sans quitter des yeux l’horizon galatien.
Quand enfin il fit demi-tour pour revenir vers Meriande, le spectacle qu’il vit était bien celui qu’il avait attendu. Les cinq Tuathanns et leurs chevaux étaient tombés. Les cavaliers avaient le corps coupé en deux, et les chevaux n’avaient plus de tête. La lame les avait toutes tranchées d’un seul coup. Le sang coulait dans l’herbe verte. »
Une touche de sadisme et beaucoup d’hémoglobine.
A ce propos, la précision anatomique des blessures est à saluer. Ainsi dans cet extrait :
« Il baissa les yeux et découvrit avec horreur la pointe ensanglantée de la lance mais Faith tira violemment en arrière pour dégager la pointe, entraînant les boyaux et le foie du soldat sur la petite lame en biseau. »
Et aussi dans cet autre :
« Sous le regard d’Aléa, le Magistel reçut la lame du mort-vivant en pleine gorge. L’acier s’enfonça sous la peau de son cou, coupant une à une les cordes vocales, glissant jusqu’à la nuque à travers la chair ouverte dans un mouvement qui semblait ne jamais vouloir en finir. Le Magistel s’écroula en arrière sur le sol. Sa tête roula derrière lui, les joues couvertes de larmes. »
Tchak ! Ç’en est terminé du Magistel Galiad. Henri Loevenbruck ne s’encombre pas de ses héros. Peu de temps auparavant, il s’est aussi débarrassé de la barde Faith. Espérons que les deux pourront enfin jouer à la bête à deux dos dans le monde des morts où on ne manquera pas de les retrouver dans le troisième tome.
Relevons enfin que l’imaginaire de l’auteur puise allègrement à droite et à gauche, bouffant à tous les râteliers, quitte à puiser dans ses souvenirs de vacances.
Un exemple pioché à la louche : le Mont-Tombe.
« Ils arrivèrent à la fin de l’après-midi devant la porte de l’Avancée, au pied des murs de Mont-Tombe. […]
Aléa, Faith, Kaitlin et Mjolln passèrent sous la porte et arrivèrent dans une cour triangulaire où se croisaient des charrettes et une foule de passants. […]
C’était une sorte de sas entre la porte de l’Avancée et la porte du Boulevard, beaucoup plus grande, et qui était fermée la nuit. On passait alors sous un large mur et on entrait dans la ville fortifiée à proprement parler. […]
Ils passèrent la seconde porte et arrivèrent dans la grande rue qui longeait les remparts, bordée de chaque côté de maisons hautes et étroites. Au-dessus des toits, on apercevait le sommet des remparts et les tours qui se détachaient de la façade pour surplomber les flots. […]
La rue montait lentement le long du rocher et ils marchèrent ainsi sans se parler tout au long du boulevard. Au bout du rocher, la rue tournait pour repartir dans l’autre sens derrière un nouvel étage de remparts. Ils arrivèrent alors au pied de l’immense abbaye. »
Il ne manque plus que la terrasse panoramique du restaurant de la Mère Poulard et ses omelettes et on croirait un extrait du guide vert.
Franchement, après ce deuxième volet, j’ai encore plus hâte de lire la suite…