Plus de 700 pages, le récit politico-stratégique de John Prados sur le conflit vietnamien ne se lira pas en une heure. D'autant moins que celui-ci présente nombre de complications aussi bien sur le fond, mais surtout sur la forme.
Disons le d'emblée, si vous êtes anglophone, mieux vaut se procurer la version originale. La traduction proposée n'est pas mauvaise, mais vraiment très "lourde" avec nombre de tournures de phrases et de vocabulaire loin d'être peaufinés ou optimisés (surtout sur des termes assez techniques, notamment militaires) ce qui donne une lecture parfois fastidieuse avec un effort de réflexion supplémentaire là où une lecture "dans le texte" serait certainement plus simple.
Ensuite l'auteur prend parfois des chemins rédactionnels assez tortueux et sans crier gare, on passe ainsi de la politique intérieure américaine à la politique sud-vietnamienne pour revenir subitement sur des décisions stratégico-opérationnelles aussi bien de la part des agences gouvernementales que du MACV (Commandement américain au Vitenam) sur place.
On a ainsi aucun résumé chronologique en annexe, ce qui aurait été bien utile pour suivre les fils, souvent parallèles, des nominations/élections/prise de pouvoir entre les différents acteurs. Là faut bien suivre au risque de perdre.
Sur le fond, le livre est clairement américano-centré avec notamment un effet loupe sur le mouvement anti-guerre (auquel l'auteur a milité à l'époque), ce n'est pas rédhibitoire, loin de là, mais vient ajouter à la confusion. On regrettera l'absence de vision un peu plus élargie. Le conflit indochinois français est ainsi analysé, mais passe à côté des problèmes intérieurs propres à la France, le résumant parfois à l'absence d'appui de la part des USA. Si le point de vue de Hanoï n'est que peu évoqué, c'est surtout par l'absence de sources directes de la part de l'auteur, je pense.
Je regrette surtout des analyses trop succinctes de l'élargissement du conflit au Laos et au Cambodge, ces deux pays ayant subi de plein fouet les conséquences du conflit vietnamien, l'analyse plus poussée de cet impact aurait été la bienvenue. Notamment sur l'immobilisme occidental face à la tragédie cambodgienne (la nécessité de passer alors par le Congrès pour toute décision en rapport avec l'Asie du Sud-Est à compter du début des années 70 a probablement dissuadé toute évocation d'intervention US nouvelle dans la zone).
Néanmoins, sur le fond, le livre se distingue par une analyse politico-stratégique poussée du conflit, de ses origines, de son pilotage et de ses errements. Analyse aussi bien sur le plan de la politique intérieure américaine, sur la politique intérieure sud-vietnamienne et bien sûr du pilotage du conflit lui-même, notamment par le MACV et département d'Etat (MacNamara et Kissinger en tête).
On s'affranchit donc d'une vision ras du casque souvent ressassée pour ce conflit et on plonge vraiment dans le bourbier politique vietnamien.
On ne sera pas forcément d'accord avec tout, notamment le raccourci vis à vis du conflit irakien contemporain à la publication du bouquin, mais les conclusions proposées sont pertinentes: les USA n'ont jamais eu les moyens stratégiques de faire monter les enchères au Vietnam et n'en ont d'ailleurs jamais eu l'intention tant le conflit s'avérait intrinsèquement secondaire dans le cadre de la guerre froide. Pourquoi alors s'être obstiné sur place, là est tout l'intérêt de ce livre, de nous dévoiler la mécanique absurde, mais finalement implacable de la politique extérieure américaine de l'époque.
Rien que pour cela, la qualité du travail de fond apportée à sa rédaction, ce livre vaut sa lecture pour toute personne intéressée par le sujet.