Démo-archie
Première rencontre avec un texte complet de Rancière, sa radicalité m'a beaucoup plu. Je ne pensais pas que Rancière était un penseur si fondamental dans son sens premier. Et pourtant il l'est,...
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le 12 mai 2020
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Première rencontre avec un texte complet de Rancière, sa radicalité m'a beaucoup plu.
Je ne pensais pas que Rancière était un penseur si fondamental dans son sens premier. Et pourtant il l'est, l'objectif de sa tentative est justement de revenir au fondement de la haine de la démocratie plutôt que d'en expliquer les différentes formes. Il emprunte cette voie critique plus historique durant les premier et dernier chapitres, mais pour mieux en souligner l'insuffisance pour comprendre ce qui se trame derrière cette inévitable haine - dont les formes diverses et ingénieuses, parfois presque raisonnables, n'épuisent pas la raison fondamentale de cette opposition constante (même si elle est toujours larvée, cachée ou déguisée).
La démonstration connaît donc une acmé durant le deuxième chapitre, La politique ou le pasteur perdu, où Rancière élabore ce qu'il appelle le "scandale démocratique". Je schématise, mais il s'agit pour Rancière de mettre en valeur le fait que la démocratie n'est pas un modèle de régime politique, mais plutôt le principe de légitimation de régimes potentiels. Or, ce principe de légitimation est révolutionnaire et scandaleux (et donc suscite la haine), car il est par essence tautologique : la démocratie est l'absence de principe de légitimation à l'exercice du pouvoir. Rancière amène tout cela avec brio, partant de la démocratie athénienne pour identifier ce qu'il appelle les six titres à gouverner : les parents sur les enfants, les vieux sur les jeunes, les maîtres sur les esclaves, les gens biens nés sur les gens de rien, les forts sur les moins forts et les savants sur les moins savants. Impossible de sortir de l'utilisation d'un ou de plusieurs de ces principes de légitimation de l'action politique (qui ont historiquement pris des formes variées, mais qui se fondent toujours sur une inégalité de conditions) autrement qu'en posant un septième titre à gouverner particulier, l'absence de titre. Seule cette absence de titre peut contenir un vrai principe de justification fondée sur l'égalité. Ce principe aurait été réalisé pour la première fois par le tirage au sort des citoyens athéniens aux différentes charges dans la cité, justifiant la responsabilité politique de certains citoyens par "un coup de dé" échappant à l'âge, la sagesse, la filiation, la richesse et la force (bon, pour le statut de maître ou d'esclave c'est délicat pour des raisons évidentes, mais ça n'entrave pas la puissance évocatrice de l'exemple).
La vertu du livre est sa capacité à nous conduire à cette idée de manière très rationnelle, en utilisant la démocratie athénienne et en évoquant subtilement l'opposition platonicienne (entre autres), puis à user de cette idée comme base d'analyse pour les développements historiques de la haine de la démocratie, et comme base critique pour les régimes politiques. Cette base critique nous permet d'écarter complètement la démocratie représentative de la définition de la démocratie, puisque la représentation se fonde sur un titre à gouverner non égalitaire, au "pire" le fait d'être bien né, plus vieux, au "mieux" le fait d'être savant, mais à chaque fois s'appuyant sur une forme de privilège matériel (dont tous les six titres dérivent d'une manière ou d'une autre) qui écarte nécessairement le principe d'égalité.
Le livre est court et la lecture exigeante mais Rancière fait tout cela très bien. Ce n'est pas un livre militant, il ne cherche pas à convaincre une opposition, il enrichit une tradition de philosophie politique particulière dans laquelle il pose une pierre assez grosse pour faire office de fondation. On pourrait assimiler cette tradition, très schématiquement, à une gauche critique avec des fondements althussériens et deleuziens (selon moi hein). Il ne va donc convaincre aucun penseur du libéralisme, aucun conservateur ni aucun débilos ne maintenant la cohérence de sa pensée qu'en brandissant le concept de mérite (les premiers et les seconds n'ont pas à être nécessairement assimilés aux derniers, même si les derniers sont systématiquement les thuriféraires des premiers et des seconds !).
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le 12 mai 2020
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