Il y a quelques mois, il fallut que la Mort s’autorisât une excursion hors des dimensions farfelues du Disque-monde pour venir par chez nous, cueillir un ténor de la littérature de l’imaginaire : Terry Pratchett. Cet événement m’a rappelé les lacunes qui étaient miennes en matière de culture fantasy et je me suis promis d’un jour mettre le nez dans les Annales du Disque-monde.
C’est désormais chose faite, et malgré un avis finalement mitigé, une chose m’est apparue clairement : Terry Pratchett n’a pas volé sa réputation. Car dans ce premier tome d’une longue série d’aventures plus loufoques les unes que les autres, l’auteur nous dépeint, avec force détails, les rouages de son univers haut en couleur – et autant dire qu’avec l’ajout de l’octarine, ça donne un sacré feu d’artifice ! Je dois bien l’admettre : ce monde, qui prend le contre-pied des poncifs de la fantasy, a su éveiller ma curiosité. Pratchett développe des trésors d’imagination pour rendre au chaos sa cohérence, en cela qu’il parvient à donner du sens à un univers diablement foutraque et original ! Un monde plat, soutenu par quatre pachydermes surplombant la Grande A’Tuin, la tortue galactique… comment ne pas y croire ?
On tient là ce qui est sans doute la clé du succès des Annales du Disque-monde : c’est génialement absurde ! Loin d’être lourdaud ou poussif, La Huitième Couleur est doté d’un humour assez fin et subtile, tenant souvent du trait d’esprit. Du bon goût. On ne rit pas aux éclats, mais un sourire latent vient se figer sur notre expression. Il faut dire que l’ami Pratchett a le sens de la formule et du bon mot, celui que tu n’attends pas mais qui, lui, t’attends bien calé au détour d’une fin de phrase ou d’un saut de ligne. J’aime assez la plume de Pratchett, parce qu’elle est riche, précise, et qu’elle participe grandement à l’effet de surprise provoqué par une brillante saillie. Ce qui dénote très surement d’une bonne qualité de traduction, soit dit en passant.
Alors pourquoi tant de réserve dans la notation ? Je dois l’admettre, les premières pages du livre sont foutrement réussies et rafraichissantes. Malheureusement, la bonne surprise s’atténuant au fil de la lecture, j’ai un peu perdu mon enthousiasme en cours de route. En cause, le fait que je me suis assez peu attaché aux personnages, caricatures d’eux-mêmes sans évolution notable ; mais surtout l’absence d’un scénario probant. La Huitième Couleur, c’est avant tout une succession de péripéties qui manquent de liant. Une suite de petites histoires loufoques, sans prétention, et à la narration parfois décousue, dans lesquelles on suit les tribulations folles de nos deux personnages. Tribulations sans enjeux sinon celui de leur propre survie, encore que l’on comprendra bien vite qu’ils ne risquent pas grand-chose, si bien qu’on n’a finalement pas très peur pour eux. Trop peu de surprises et d’émotions parsèment l’ensemble, lacunes finalement comblées par une sensation de lassitude croissante. Je dois dire qu’à la fin, je m’ennuyais un peu.
Bref, malgré le travail accompli et les qualités indéniables de ce premier tome, il m’a semblé manquer d’ambition, manquer d’une histoire prenante. Alors oui, on apprécie tout de même ce bout de voyage passé en compagnie d’un amusement de chaque instant, et ceux qui sauront s’en contenter trouveront sans doute dans La Huitième Couleur une aventure d’excellente facture ; mais pour les autres, l’humour et l’univers de Pratchett seuls, tout réussis qu’ils sont, ne parviendront sans doute pas à vous tenir accrochés jusqu’au bout du livre.