Dans la collection Omnibus, le livre intitulé "Ceux de 14", regroupe les quatre récits de guerre ainsi que trois romans dont en particulier "la joie".
Pour mémoire, on sait que Genevoix a combattu de 1914 à 1915 jusqu'à ce qu'il soit grièvement blessé puis réformé. Ces récits ainsi que les romans ont été publiés entre 1918 et 1924. Précisément "la joie" a été publié en 1924 mais raconte des évènements de l'immédiate après-guerre.
C'est le moment de la difficile réintégration des anciens combattants auréolés de la victoire.
"La joie" met en scène un ancien officier, Pierre Andrianne, qui a perdu un pied à la guerre et qui se lance dans une carrière politique.
Dans une première partie, on assiste à un meeting politique pour une élection législative. Plusieurs personnalités s'affrontent. Les politiciens "d'avant" s'appuient sur les jeunes sortis vivants de la guerre et font face aux "embusqués". Alors que certains prônent l'occupation militaire de l'Allemagne, d'autres veulent dépouiller le pays et un autre, qui fut réformé pour cause de tuberculose et qui n'a jamais combattu, recommande la prudence et d'éviter l'humiliation du vaincu. On sait aujourd'hui que la politique suivie après le traité de Versailles fut essentiellement la deuxième voie avec les conséquences économiques désastreuses sur l'Allemagne. Ce fut peut-être une des causes de l'avènement du nationalisme et du nazisme en Allemagne. Mais ça, le roman de Genevoix écrit en 1924 ne peut pas le dire, bien entendu. C'est quand même intéressant de trouver ce type de discours presque prophétique dans cette période d'après-guerre. L'homme en question se fera méchamment dézinguer par le héros du roman qui, lui, a combattu et y a laissé un pied …
Dans une deuxième partie, Pierre Andrianne est contraint d'abandonner la carrière politique pour soigner un début de phtisie. Il quitte la vie parisienne pour rejoindre sa mère en province, dans les pays de Loire. Alors que dans la première partie, il était dans une démarche dynamique, la deuxième partie voit un être déboussolé par sa soudaine maladie et déboussolé par son inutilité. Sa rencontre avec Hélène, jeune veuve, va à la fois relancer une dynamique personnelle cette fois et générer un mal être dont Hélène pourrait bien être la victime.
Roman d'un Genevoix intériorisé, intimiste, qui s'interroge, qui regrette certains éclats, qui fait preuve d'un humanisme qui ne dit pas son nom. J'ai cru un moment que le roman était autobiographique mais je ne le crois pas, en définitive. Le héros lui ressemble mais en moins brillant car Genevoix une fois réformé voit sa vie d'ancien élève de Normale Sup pratiquement tracée. Tandis qu'Andrianne est nettement moins favorisé et finirait même par devenir toxique dans sa relation avec Hélène. C'est au contraire l'ancien combattant qui a du mal à trouver sa place et qui a des difficultés à comprendre ses contemporains, surtout ceux qui n'ont pas connu le front.
C'est aussi un roman où le héros n'en finit pas de s'émerveiller d'être encore vivant, d'être encore capable d'aimer, de s'ouvrir à la nature, en bref de découvrir "la joie" de vivre.