Dans l'espace médiatique, intellectuels et politiques justifient allégrement et sans honte une guerre dont ils ne connaîtront ni la boue ni le sang ainsi qu'une pluie de bombes sur une population sans défense, tout cela en prenant soin d'attoucher de leurs mains sales les notions déjà mourantes de liberté et de courage. S'il y a bien une chose à faire, c'est de partir, peu importe où, mais loin. Par exemple, trouver refuge chez Bernanos, un auteur qui connaît bien ces choses, aussi bien les petits intellectuels commentant les événements du front sans y être, leur office légitimé par une tiédeur affligeante, que les deux belles notions précitées dont sa vie rend hommage.
Ainsi, suspendu dans le temps, nous voici perdu au début du siècle dernier dans la campagne normande, dans le domaine de l'illustre écrivain Monsieur de Clergerie. Sa fille, Chantal, est la créature de Bernanos, une enfant marquée par la sainteté de son ami, l'abbé Chevance, mort peu avant le récit. Une série de personnages défilent sous les yeux du lecteur et de Chantal, qui, chacun à leur manière sont marqués par ce qu'incarne la fillette. Ils sont tour à tour humiliés et vaincus par Chantal qui les effraie et les trouble par le gigantesque revers qu'elle oppose malgré elle a leurs théories qu'ils pensaient chacun en eux bien articulées et huilées.
Le père de Chantal, intellectuel brillant et reconnu dans la bonne société littéraire et briguant le siège à l'académie, terriblement gêné par l'esprit de sa fille, qui voit à travers elle la médiocrité de son sacre à venir et de sa vie carriériste dont il peine a mesurer la valeur à l'approche de la vieillesse. Hypocondriaque, écrasé par l'angoisse de la mort et par une névrose croissante, les douces paroles et le caractère de Chantal sont un supplice.
Fiodor le nihiliste, et La Pérousse le médecin, assurés pourtant, l'un par son cynisme l'autre par sa science, de connaître toutes les faces du monde et de la nature humaine, démasquant selon eux l'hypocrisie de la religion et l'arnaque de la sainteté. Pourtant, l'incarnation du saint implique tout ce qui compose le monde et les hommes sans rien enlever, ainsi accepter sans détours ni compromis le poids de tous les péchés. Ils ne se détournent pas du monde, ils le portent sur leur dos. A travers Chantal, ces personnages voient finalement le courage et la volonté héroïque du saint.
La joie de Chantal est sa foudroyante simplicité qui combine avec son courage, sa jeunesse, son abnégation, incarnant ce que Bernanos veut nous dire à propos de la sainteté : c'est une jeunesse, une force vive physique et spirituelle, qui tend à se renouveler sans cesse.