La quatrième de couverture de mon édition indique que La Lettre écarlate est "considéré comme le premier grand roman du continent américain", et je ne peux qu'approuver ce jugement. Le roman d'Hawthorne est l'un de ces piliers auxquels il faut s'attaquer à un moment ou un autre, pilier de la littérature à lire plus pour son influence sur la littérature (historique, sociale) que pour ses qualités littéraires. En ce sens, la lecture d'Hawthorne est formidablement moderne tant les parallèles avec certaines sociétés actuelles sont manifestes : rigorisme, place de la femme, émancipation de l'individu...


Seulement, sans pour autant être difficile à lire (dans le vocabulaire ou les tournures de phrases par exemple), La Lettre écarlate est un roman à la narration et au style pénibles pour nous, lecteurs modernes. Par exemple, la présence du narrateur est surabondante dans le récit et ne laisse aucune place à l'interprétation individuelle. Ce narrateur impose un carcan à la lecture, et explicite sans cesse les portées symboliques des personnages ou de leurs actions. Bien sûr, il faut avoir conscience que de telles choses n'étaient pas aussi évidentes pour des lecteurs non familiers du roman (contrairement à nous), mais, aujourd'hui, tout cela est lourd : les explicitations longues et ampoulées sur le mal qui ronge le pasteur Dimmesdale, sur la place de Pearl (enfant apportant la libération et le joug, voir le chapitre XIX) En fait, le lecteur n'a pas besoin de l'aide du narrateur pour comprendre que le péché d'Hester, puis sa pénitence, ne font que renvoyer les autres habitants à leur propre hypocrisie. Bref, les thèmes creusés sont pertinents, mais sans cesse desservis par une explicitation trop longue et lourde de leurs enjeux, comme lorsque Hester monte sur le piloris. La simple retranscription des paroles des autres femmes aurait permis de comprendre le propos d'Hawthorne (càd elles sont pires que ce qu'elles critiquent), mais le narrateur souligne sur de longues pages tout le sous-entendu de cette scène qui, fatalement, perd de son intérêt.


Toutefois, malgré une langue et une narration vieillies, on trouve toujours un intérêt à lire (et relire) La Lettre écarlate. Plus qu'un simple roman sur "une femme éprise de liberté" (toujours ma quatrième de couverture), c'est un roman fourmillant de contradictions et incitant à la réflexion. Le personnage d'Hester est en lui-même catalyseur des contradictions internes au roman, car c'est la sanction prise par la société puritaine (critiquée par Hawthorne) qui, en dernière instance, permet sa sanctification. La sanction devient l'étape obligée pour s'élever dans le surnaturel. On peut alors se demander ce que serait devenue Hester sans la lettre écarlate, et si sa peine ne constituerait pas finalement son Salut.


Suite à la lecture d'un article sur La Lettre écarlate, je me permets d'ajouter que le roman ménage une place essentielle à l'art comme vecteur d'émancipation. Par son art, Hester renverse la sanction et s'en libère. Honnêtement, je trouve cet axe de lecture limité, puisqu'on nous explique longuement toute la pression que fait subir le regard d'autrui sur la lettre écarlate. N'empêche que ça reste à creuser.


Succinctement, La Lettre écarlate vaut le détour pour ce qu'il défend et pour sa place dans la littérature. Seulement, c'est un roman à l'état embryonnaire : beaucoup de choses abordées, puis abandonnées. Depuis Hawthorne, divers auteurs ont écrit sur le même thème, les qualités littéraires en plus.

Memna
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le 12 août 2023

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