Elmore Leonard, deuxième tournée. Revigoré après Inconnu 89, qui fut mon premier roman signé par l'un des saints patrons du polar, je décidai d'enchaîner avec un deuxième. La loi de la cité me tendait les bras, je m'y plongeai donc avec grand plaisir. On tient ici l'éternelle réorchestration du bien contre le mal. Ou plutôt du shérif contre le brigand tel que le western l'a fixé dans l'imaginaire collectif. Une mythologie à laquelle a contribué Leonard au lancement de sa carrière, dans les années 50. Sauf que là, on se situe à la fin des 70's et que le duel oppose un flic chevronné à un psychopathe du genre gonflé.
Quoi, juste un bras de fer entre le bon et la brute ? Oui, sauf que l'arbitre c'est le truand alors accrochez-vous. L'illustre écrivain (décédé en 2013) est d'abord et surtout un auteur de personnages. L'intrigue n'est jamais qu'un fil rouge, dont les conventions seront dépassées au bout de 50 pages. Elles sont d'ailleurs imparables. D'abord hilarantes (la présentation du juge Guy), puis glaçantes (Clément). On se réchauffe ensuite avec Raymond Cruz et son équipe d'inspecteurs. La tension grimpe, les indices sont trouvés, le coupable idéal aussi, la confrontation est inéluctable. Et elle arrive. Au premier tiers du livre. Mais ? Et après qu'est ce qu'il peut bien se passer ?
Ce qu'il se passe, c'est Elmore Leonard. S'il tient de sa plume d'étranges créatures qu'il aime bien, il les laisse écrire la suite. Alors ils se croisent, se percutent, se confrontent ou s'associent. L'issue parait admise, pourtant arrivé à mi-parcours, un trouble. Le génie de Leonard consiste à nous inviter à voir au delà du texte sans jamais s'embarrasser de psychologie ou d'interminables phases descriptives. Bien sûr, les dialogues mettent un peu sur la voie, mais ce sont vraiment les actions qui créent un malaise dont le point culminant sera atteint dans son final extrêmement ambigu. Finalement, qu'est-ce qui différencie les deux adversaires ? Une plaque, un ordre moral ? Plutôt le choix de s'y soustraire ou de s'en affranchir. C'est justement dans cette zone incertaine que La loi de la cité trotte longtemps dans la tête. Encore une fois, la qualité d'écriture est exceptionnelle. Les dialogues sonnent justes, ils coulent naturellement et on se laisse emporter quand bien même la mer s'agite. Je fus même désarçonné que ce calme relatif s'étende jusqu'au 20 dernières pages. Mais ça en valait la peine.
Les 320 pages se tournent rapidement, ponctuées par quelques accélérations brusques. Elmore Leonard signe un polar hard-boiled qui laisse son venin agir l'air de rien jusqu'à ce que le poison ait fait son affaire, à la toute fin. Il va sans dire qu'un essai transformé de si belle manière appelle à une troisième lecture.