Poète suisse d’avant-garde aux amitiés anarchistes, Blaise Cendrars s’engage en 1914 pour défendre la France. Muté dans la Légion étrangère, il est nommé caporal, commande une escouade franche, guerroie un an dans les marais de la Somme avant d’être gravement blessé, amputé de l’avant-bras droit et réformé. Il n’a pas écrit au front, mais rassemblera ses souvenirs après-guerre pour ne les publier qu’en 1946.


Cendrars aime ses soldats, tous étrangers engagés volontaires. Il décrit la camaraderie du troupier, les joies simples, l’alcool, la bouffe, les permissions et les hâbleries. Il déteste la plupart des gradés, fustige les planqués et décrit avec jouissance les arcanes de l’administration militaire. Il décrit la guerre vue d’en bas.


« De tous les tableaux des batailles auxquelles j’ai assisté je n’ai rapporté qu’une image de pagaille. Je me demande où les types vont chercher ça quand ils racontent qu’ils ont vécu des heures historiques ou sublimes. Sur place et dans le feu de l’action on ne s’en rend pas compte. On n’a pas de recul pour juger et pas le temps de se faire une opinion. L’heure presse. C’est à la minute. Va comme je te pousse. »


Une guerre absurde, sale et avilissante. Il combat sans haine, s’attardant sur ses camarades, qui seront pour la plupart tués. Les rescapés seront marqués à vie.


« Le métier d'homme de guerre est une chose abominable et pleine de cicatrices, comme la poésie. On en a ou l'on n'en a pas. Il n'y a pas de triche car rien n'use davantage l'âme et marque de stigmates le visage (et secrètement le cœur) de l'homme et n'est plus vain que de tuer, que de recommencer. Et vivat ! c'est la vie... » P159


Il ne monte que rarement à l’assaut, mais patrouille et monte des coups de main.


« Une patrouille c’est une dose massive [de drogue]. On est abruti. Et il y a aussi accoutumance. On sort et on revient, et si l’on revient, on est plus le même homme. On est flétri. Mais on veut remettre ça et l’on y retourne. Bravade et cynisme. Le desesperado est un homme usé par la sensation forte, d’où la répétition de plus en plus forte. Plus qu’un désespéré c’est un homme perdu. » P132


Il fabule un peu et poétise: « C’était un drôle de brouillard, tout en colonnes giratoires, tourbillonnantes qui s’élevaient des marais et se résorbaient en traines flottantes, transpirantes sous la lune qui scintillait dans les myriades de paillettes d’argent accrochées dans les volants étagés de ces jupes de gaze qui faisaient cloche en s’évanouissant dans la ténèbre pour réapparaître un peu plus loin sur l’eau noire miroitante et sous forme de nouvelles colonnes dansantes et dans un nouvel éclairage instable, inclinées, alanguies et plus ou moins s’effilochant, s’enlaçant, et cette invitation silencieuse à la valse des spectres blancs dans une grande salle de bal alternativement éclairée et brusquement plongée dans l’obscurité blêmissante des rampes et des girandoles que l’on ranimait, éteignait dans les coulisses de la nuit profonde nous eût ensorcelés si notre bachot n’eût été lancé à travers cette étendue à la recherche d’une barque décevante que nul d’entre nous n’avait encore entr’aperçue mais qu’Opphopf, avec son sûr instinct de batelier et son ouïe fine de fraudeur, avait repérée au son d’un clapotis fuyant. » PP. 392,393


Tout comme l’adjudant Steiner, le héros de Croix de fer de Sam Peckinpah (adaptation du roman de Willi Heinrich), Cendrars lutte pour survivre, avec ses hommes, le mieux possible dans un environnement incertain. Il ne craint pas de s’opposer à ses supérieurs, qu’il méprise. S’il est plus drôle et moins cynique, son séjour au front sera plus court.

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le 27 mai 2021

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Step de Boisse

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