I want to hold your hand...
Auteur américain de renom (7 prix Hugo…rien que ça), pourtant peu traduit en français (essentiellement dû à ses prises de positions pro-guerre du Vietnam dans les années 70, ce qui le plaça de facto Persona non grata dans les cercles culturels français), Anderson n’en fini pas, ô joie, d’être « redécouvert » dans notre langue.
Cette fois c’est au travers d’une nouvelle, exercice difficile mais gratifiant pour une histoire de Science-fiction, vision et mise en garde d’une rare actualité en ce début de XXIe siècle.
Deux civilisations en guerre depuis des lustres, et leur représentant, Valka Vahiro pour Cundaloa, et Skorrogan pour Skontar (dont le peuple ressemble à s’y méprendre aux Klingons de Star Trek !), sont conviées à une table des négociations d’après-guerre par la Confédération de Sol, la plus puissante et brillante civilisation à ce jour. Elle se propose d’aider, financièrement, techniquement, scientifiquement…bref de redresser la situation de deux peuples exsangues de leur interminable guerre. Cette politique de la main tendue n’est pas sans intérêt pour Sol, qui voit dans la création de deux économies d’envergures, de potentiels partenaires, et donc des débouchés et des bénéfices intéressants pour leur économie.
Par l’entremise de l’aimable et conciliant Valka, Cundaloa a su convaincre Sol de l’intérêt qu’elle avait de l’aider, tandis que l’orgueilleux et rustre Skorrogan a fermé à son peuple les bourses d’une aide providentielle par son comportement et son arrogance
De retour sur Skontar, ce dernier est d’ailleurs démis de toute fonction officielle et banni de la Cour. Dans un peuple ou l’honneur semble être la valeur la plus absolue, Skorrogan apparaît alors comme fini ; bien qu’il parte la tête haute en prophétisant que dans quelques années on reviendrait le chercher pour lui présenter des excuses, lui qui a osé dire non.
Cinquante ans plus tard Cundaloa a rattrapé son retard technologique et scientifique, mais au prix de l’abandon de son identité et de sa culture. Autrefois une civilisation à la culture riche et florissante, aux expressions multiples et originales, elle ne subsiste qu’au travers de façades touristiques et de camelote bon marché. Cundaloa a assimilé complètement la culture de Sol en niant la sienne.
Quant à Skontar, après de longues années de disette et de misère, elle a su se créer sa voie propre et parvenir non sans difficultés et temps, à rattraper son retard technologique et scientifique notamment, mais aussi en science « humaine » en explorant des schémas de pensée différents. Elle a tenu la dragée haute à Sol, sans renoncer à ses particularismes, sa civilisation et sa culture.
Ne nous le cachons pas les ficelles sont grosses, la morale évidente : vendre son identité pour s’acheter un confort matériel ce n’est pas bien. Je caricature à outrance, mais s’est un peu ce que l’on ressent à la lecture. L’analogie avec le système du Plan Marshall au sortir de la Seconde Guerre Mondiale est évidente, et le déroulement de l’assimilation culturelle de Cundaloa, tout autant que de la résistance bravache de Skorrogan sont un brin manichéen.
Il n’empêche, la nouvelle est efficace, son propos sur l’impérialisme économique comme cheval de Troie d’un impérialisme culturel est plutôt censé (et toujours d’actualité). Anderson reste un conteur agréable, et en fermant la dernière page, et au-delà d’une certaine évidence du fond, on se dit quand même qu’en moins de quatre-vingt pages, Anderson réussi à créer trois cultures différentes, à en dépeindre les aspects historiques techniques et humains, à traiter du passé et du future de 3 civilisations, à rendre l’ensemble vivant et cohérent et à être visionnaire.
Et ce n’est pas rien d’avoir ce talent !