Critique légèrement retouchée le 25/10/22 à la lueur de la critique du roman "le mystère de Séraphin Monge" en cours d'élaboration
Pierre Magnan est un écrivain que j'ai découvert dans les années 80 alors que j'habitais dans les Alpes de Haute Provence (anciennes Basses Alpes) avec son premier roman "le sang des Atrides" dont le titre ne pouvait que me plaire (critique à venir) … Ses romans en général se déroulent dans un quadrilatère dont les sommets seraient Digne, Sisteron, Forcalquier et Manosque. Mais "la maison assassinée" présente pour moi un intérêt supplémentaire car il se déroule au centre de ce quadrilatère à environ 5 km de l'endroit où j'ai passé dix ans de ma vie soit entre Peyruis, Lurs et Les Mées, à proximité du Prieuré de Ganagobie et de la chapelle Saint-Donat.
Contrairement à l'ensemble de son œuvre, ce roman n'est pas vraiment un roman policier ; il y a bien quelques meurtres et quelques enquêtes mais elles restent en marge du fil conducteur du roman qui est l'histoire d'un jeune homme de 25 ans, Séraphin Monge, orphelin qui a survécu, indemne, à la Grande Guerre. Il revient "au pays" et découvre qu'il est orphelin car sa famille a été sauvagement assassinée alors que lui-même n'avait que quelques semaines. Ayant hérité de la maison maudite, de la maison du crime, il n'a de cesse de vouloir la détruire, l'anéantir. Il découvre alors peu à peu que les trois Bosniens capturés et guillotinés à l'époque ne sont pas les vrais coupables. Il découvre que les probables assassins sont des gens ayant pignon sur rue, "voisins" de la famille Monge dans le village ou les villages adjacents.
S'enfle alors en lui un désir de vengeance envers ces coupables. Mais là encore, les langues se délient peu à peu et Séraphin comprend et s'aperçoit que les choses ne sont pas si simples. Que des personnages s'agitent dans l'ombre et s'ingénient à brouiller les cartes. Oui mais qui et pourquoi ?
C'est un livre puissant que traverse le personnage de Séraphin, une force de la nature, un ange pur qui reste insensible aux appels de jolies filles ou jolies jeunes veuves des villages en manque d'hommes en ces temps de juste après-guerre. Un ange innocent obsédé par l'image de sa mère qu'il entrevoit dans ses rêves la nuit et dont il a été cruellement privé.
Une autre façon de le dire, c'est de considérer que la construction du livre fait référence à ces mythes grecs anciens soigneusement établis par Homère ou Hésiode déclinés en pièces de théâtre. On a ici aussi des crimes commis par des hommes qui appellent toujours vengeance sous l'œil goguenard des dieux ou d'un Destin tour à tour bienveillant ou malveillant. Mais lorsqu'on observe ce qu'il en est, on se rend compte que les choses ne sont jamais si simples. Les victimes sont aussi des coupables en puissance. Et le Destin (les dieux de l'antique Grèce) se débrouille pour qu'un descendant puisse survivre sans forcément avoir conscience de son propre destin. On est à la fois dans la logique de la famille des Atrides et de la légende de Thèbes.
Magnan, c'est un style efficace qui mélange les expressions provençales au français pour exprimer cette atmosphère de non-dits, de secrets enfouis dans les pierres, de rancœurs qui traversent les générations. Les noms des personnages sont bien typiques de la région et nommés avec l'article défini comme "le Burle" ou encore "le Zorme" ou "la Marie Dormeur". Pierre Magnan qui est né à Manosque et a bien connu et admiré dans son enfance Jean Giono sait faire revivre cette Provence pauvre et déshéritée décrite par Giono. Avec une différence de taille. Magnan évoque les choses directement, sans faux fuyants, sans métaphores, sans lyrisme.
Un des meilleurs romans de Pierre Magnan, un peu en marge de son œuvre. On trouve un prolongement du roman dans "le mystère de Séraphin Monge" qui fera l'objet d'une critique dès que je l'aurai relu.
A noter que "la maison assassinée" a fait l'objet d'une adaptation par Lautner avec Patrick Bruel dont je ferai aussi la critique dans quelque temps.