Une grande découverte !
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le 27 févr. 2016
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Il n’y a bien encore que la littérature pour m’étonner de cette manière. J’ai plongé dans ce livre sans rien en savoir, si ce n’est son énigmatique résumé placé discrètement sur le rabat de la couverture, et c’était certainement le meilleur moyen d’y entrer puisque tout au long de ses 1070 pages, le roman va intelligemment jouer des mystères qu’il érige autour de lui, comme une carapace qu’il décidera ensuite de retirer petit à petit pour se dévoiler à nous.
On entre dans La Maison avec un jeune garçon (Fumeur), et on atterrit là sans comprendre ni où nous sommes, ni qui fait la loi ici. Puis on fera la connaissance du groupe des Faisans, puis des autres (les Oiseaux, les Rats, les Chiens) et surtout du Quatrième groupe et de ses membres étonnants : L’Aveugle, Bossu, Larry, Le Macédonien, Gros-Lard, Noiraud, ou encore Tabaqui.
(…Tabaqui…sale petit garnement complètement dingue mais terriblement attachant, qui entre d’emblée dans mon top personnages fictifs, avec Cassidy de Preacher et Maggie de Locas).
La Maison Dans Laquelle m’a fait à peu près le même effet que l’Infinie Comédie de DF.Wallace. C’est d’abord un livre bordélique, amusant mais très dense, qui nous bombarde d’inventions, de mythes, d’évènements étonnants, de digressions folles qui font sens 50 pages plus loin, le tout à la lisière d’un fantastique unique en son genre. Le livre nous avale et nous malmène, en éclatant les points de vue, les époques et les liens entre ses personnages.
Jusque-là ok. J’ai désormais l’habitude de ce genre de livre et j’adore ça.
Mais ce qui me surprend désormais en littérature, ce n’est plus tant la densité d’un texte que la manière inattendue avec laquelle il parvient à m’émouvoir. La Maison Dans Laquelle m’a touché. J’ai traversé cet énorme délire d’abord comme un explorateur curieux de comprendre le puzzle auquel je faisais face, puis ensuite comme…l’un des membres de la Maison, comme un ami, comme l’un d’eux.
Roux, Sirène, Loup, Vautour, Lord, Aiguille, Chenu, Démon (j’aimerais tous pouvoir les citer). Tous des gamins éclopés, handicapés, abimés par la vie, qui vont se révéler à nous, devenir nos amis ou nos ennemis, les miroirs de notre enfance, de nos rêves et peurs infantiles.
L’idée selon laquelle ce roman est un livre sur l’enfance est totalement vraie. C’est d’ailleurs peut être la meilleure chose que j’ai pu lire sur le sujet, parce que dans un certain sens l’enfance y est honorée.
Comme si Mariam Petrosyan avait décidé de reproduire le monde intérieur des enfants comme jamais on avait osé le faire avant. En érigeant un texte qui soit l’incarnation des délires de l’enfance que l’on prête souvent pour abscons. Un texte dans lequel, par exemple, une nuit blanche à se raconter des histoires devient une coutume sérieuse et essentielle (la Nuit des Contes). Un texte dans lequel les bric à brac que se trainent les gamins dans leurs poches (gris-gris, graines, cailloux..) ne soient plus seulement un ramassis d’objets hétéroclites mais des talismans, des reliques d’un autre monde, des objets emplis de pouvoirs mystérieux. Un texte dans lequel ce que la psychologie appelle « la pensée magique » devient réellement magique. Un texte dans lequel une forêt peut surgir au milieu de la Maison, comme une sorte de monde à l’intérieur du monde. Un texte dans lequel un enfant aveugle peut voir les rêves des autres, un handicapé peut vivre des projections astrales et dans lequel de simples graffitis deviennent des fresques murales emplies de sens.
Bref, la Maison est un endroit dans lequel les enfants font la loi et ont raison, quittes à oublier les quelques adultes missionnés pour les surveiller (à part l’un d’eux, tous font de la figuration, presque jamais visibles). Ici les lubies des enfants n’en sont pas, elles sont des réalités à la fois mystiques et graves. Elles sont des lois, des codes, de la politique, des tournants décisifs, des rapports de force inédits. Aussi le roman n’a pas peur de nous emporter dans mille et un récits parfois étranges et loufoques, parfois très terre à terre, dans lesquels tout se passe comme un roman d’aventure. Certains épisodes hilarants (souvent ceux liés à Chacal Tabaqui) d’autres d’une cruauté que jamais on aurait cru trouver ici.
Mais le roman va même un peu plus loin que ça. Le fantastique déborde bien souvent vers des évènements qui, pour le coup, dépasseront tout le monde : les adultes, les étrangers au lieu, mais surtout nous.
On termine le livre dans le même état que Fumeur : on a bien quelques réponses aux questions qui nous assaillent, mais difficiles de les accepter. On aimerait croire que tel évènement n’a pas eu lieu, pourtant on l’a bien lu. On voudrait que ce soit un songe, ce qu’il avait l’air d’être, mais il était bien réel. Certaines choses sont difficiles à accepter, à commencer par la plus dure d’entre toutes : l’entrée dans le monde adulte.
Finalement le livre nous dépasse. Il nous a avalé, nous a malmené, puis nous a terriblement ému avant de nous recracher sans ménagement. On tourne la dernière page, hagard, en repansant à tout un tas d’épisode, à nos vieux amis désormais ailleurs ou endormis. Tout mon respect à vous qui m’avez accepté parmi vous, Chérubin, Cher-Ami, Beauté, Salomon, Rousse, et tous les autres que je n’ai pas encore cités.
Au revoir et à jamais.
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le 18 mai 2024
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