L'amour est cher à Duras dont la production tant littéraire que cinématographique met l'accent sur les rapports homme/femme. La maladie de la mort est un court roman, 60 pages dévorées en une demi-heure de lecture. Que dis-je, un roman ? Ce serait accorder à cet ouvrage un genre qu'il refuse. En effet comme de nombreux textes de Duras, celui-ci se trouve aux confins des écritures du roman, de la pièce de théâtre et du scénario de film. Cette imprécision des genres invite le lecteur à prendre appui sur les repères qui lui semblent le plus solides, ici une personne grammaticale pilier de l'intrigue: "vous".
Ce "vous" protagoniste abolit toute forme de distanciation avec le propos. Qui que vous soyez, vous êtes cet homme dans cette chambre d'hôtel face à cette mer noire dans ces draps blancs à côté d'elle, malgré vous. Vous êtes atteints de "la maladie de la mort" que vous diagnostique ce personnage fictif que "vous" personnage et vous lecteurs refusez d'appeler prostituée.
Ce repère qu'instinctivement vous comme moi pensions solide, ce "vous", était certainement le moins fiable de tous. Pourtant nous ne pouvons nous en défaire. L'auteur, faussement absent de son texte, vous l'impose: "vous dites", "vous pensez", les propos mêmes de la fiction, nés de la bouche de ce personnage de papier qu'est cette fille que vous payez pour apprendre à aimer, dépendent de "vous": "elle vous dit ", "elle vous demande".
Cette demande rend la parole incessante. Rarement marquée par des guillemets ou des dialogues délimités typographiquement, la parole se confond avec la voix, la vôtre, celle qui lit. Même lorsqu'Elle dort, même lorsqu'Elle part, la parole est là, sous la forme de pensées. Elle ne prendra fin qu'avec la maladie, qu'avec une fin du "vous".
Expérience de lecture particulièrement intense La Maladie de la Mort ne diagnostique en aucun cas en nous une incapacité à aimer comme on pourrait le croire dans une identification naïve au "vous". Ce "vous" est pourtant là pour nous donner conscience d'une chose: l'incessant de la parole. Cette "maladie de la mort" n'est pas une nécrose du langage mais une hémorragie incessante et contagieuse, un flot de verbes et de personnes: une maladie de l'amor.