Achevé dans les années 70 et publié après la mort de son auteur, La marchande d'enfants portait en effet toutes les germes du scandale, appelait au tollé et à la crucifixion, chose que voulait éviter Gabrielle Wittkop après son Nécrophile déjà bien vilipendé. Car autant le dire, La marchande d'enfants dépasse en atrocité son prédécesseur, mémorable mais déjà bien corsé. Exploratrice des extrêmes, des déviances, des vraies, G.Wittkop pose à nouveau les bases d'une épopée sordide à la première personne, laissant l’intrigante Marguerite griffonner de multiples lettres à une certaine Louise. Nous sommes en 1790, et la demoiselle tient un établissement secret. Un lieu de terreur, avidement fréquenté, où l'on parque des enfants enlevés à la rue, tous destinés à satisfaire des plaisirs abominables.
Tout comme pour Le Nécrophile, Wittkop ne prend pas de gants : l'horreur est là, béante. Plus que les tortures, c'est le détachement, la précision, la fermeté de la maquerelle pédophile qui saisit. Il est évident que la lecture est difficile, même pour les esprits les plus aguerris. Et la poésie étrange du Nécrophile laisse ici sa place à une cruauté toute sadienne, héritage assumé au point de voir le divin marquis traverser le récit, comme un invité de marque.
Ce qui empêche La marchande d'enfants d'être un simple objet cramoisi et provocateur ,c'est son style, qui emporte tout le bagage d'une époque en un tour de main. "On peut raconter tout mais pas n'importe comment" disait Gabrielle. Preuve irréfutable que ce livre là, où le catalogue vertigineux de la perversion humaine se double d'un regard passionnant sur un Paris crapoteux en ébullition, où l'écho de la Révolution Française grandit de pages en pages.
Comme une fleur sur un charnier, le romantisme de Wittkop, muselé par des descriptions techniques et historiques, s'épanouit discrètement dans la fascination pour un hermaphrodite, ou comment la passion naît dans un monde sans amour. Le trouble au bout du tunnel. Gabrielle, femme de mort, femme de coeur.
"Pour la seule fois de ma vie, j'éprouvais que les voluptés de l'âme peuvent se joindre à celle du ventre"