C’est d’abord la mise en page qui m’a frappé, surtout rebuté par ce bloc de longues phrases au style ciselé, très fouillé, pleines de digressions et de virgules, mais qui retombent toujours sur leurs pattes, récompensant l’effort d’attention du lecteur. Car ces 392 pages ne sont divisées qu’en trois chapitres, subdivisés en quelques sous chapitres qui correspondent à un changement de point de vue et de personnages.
Depuis quelques semaines, ces derniers suffoquent et sont mal à l’aise dans leur bourg de banlieue, les réverbères ne s’allument plus, les détritus sont fixés au sol par le givre, les peupliers sont déracinés, des dizaines de gens se rassemblent sur la place. En guise de mise en bouche, le chapitre d’ouverture plonge génialement dans un train qui se traine, à l’ambiance moite, et dans la tête de Mme Pflaum et ses pensées épidermiques. Avec peu d’artifices et beaucoup de descriptions factuelles, Laszlo Krasznahorkai rend son récit saisissant de réalisme et de gêne. Il faut lire cette mise en scène de la Terre et de la Lune qui tournent autour du Soleil, ou cette course d’une famille déjà perdue.
Cette gêne est ressentie par tous les personnages, sauf un seul. Un jeune homme rêveur voire utopiste dont le retour à la réalité sera sans merci. C’est à travers ses yeux et ceux de son entourage que s’organisent les changements de point de vue, certains étant plus dans l’action et la recherche du pouvoir, d’autres sont pétrifiés, certains dans la désillusion la plus totale, allant jusqu’à qualifier, avec justesse, l’atmosphère de post-apocalyptique.
Ce sentiment d’insécurité dans le changement vers l’inconnu me paraît être un des thèmes traités par l’auteur, et comment l’individu, dans une société industrielle, réagit lorsque celui-ci arrive en pleine face. Bien d’autres thèmes comme la culture de masse ou « le changement qui ne change rien » sont abordés mais je ne veux pas trop en dire et vous encourager à lire ce roman inhabituel.