La Mer de l’ombre - 1 est un beau roman pour adolescents à la fois fantastique et introspectif faisant partie de la saga des 12 Royaumes. Il est considéré comme le premier tome de la saga, toutefois, je conseille de commencer celle-ci par L’Être de l’autre monde, qui est une sorte de tome 0. (https://www.senscritique.com/livre/L_Etre_de_l_autre_monde/391768)
On retrouve dans ce volume la plupart des thèmes qu’on retrouvait dans L’Être de l’autre monde, à savoir la notion de dépaysement, de ne pas se sentir appartenir à un endroit, le suicide, la pression sociale etc. Toutefois, contrairement au tome 0, ces sujets sont ici évoqués de manière introspective. On suit la jeune Yoko, lycéenne, et nous partageons ses pensées alors que des choses extraordinaires lui arrivent et la poussent à se retrouver loin de tous ses repères.
Pendant une bonne partie du tome, l’héroïne est seule et perdue, elle doit survivre dans un pays dont elle ne connaît absolument rien. S’en suit la dure répétition des jours de survie ou chaque nouvelle épreuve de son périple (voire de son errance) l’amène à se demander si ce qu’elle fait l’emmène vers son objectif ou alors vers sa mort. En tant que lecteur, on se pose les mêmes questions, et si ce périple où les journées peuvent se ressembler peut lasser quelques lecteurs, j’ai plutôt ressenti cette répétition comme un moyen pour le lecteur de se sentir proche de l’héroïne et d’apprendre à la connaître en même temps que celle-ci se découvre elle-même. En effet, au début de l’histoire, Yoko est comme dépourvue de caractère et on peut craindre, d’avoir à faire à un personnage principal fade auquel il est impossible de s’attacher dans un monde où de choses incroyables arrivent. Et plus on avance dans le roman, plus on se rend compte que l’univers dans lequel l’héroïne évolue devient fade et répétitif tandis que la personnalité de Yoko s’affirme et que son désir de survie s’intensifie. On s’éloigne de l’univers riche pour s’attacher à l’héroïne, mais cela a pour but de nous faire mieux apprécier les richesses de l’univers plus tard.
[SPOILER]
Au début, Yoko est une jeune fille sans personnalité qui “suit le mouvement” et cherche à ne gêner personne. Ses péripéties l’amènent à s’affirmer et à ne plus craindre le regard des gens. Mais à la fin du tome prend alors forme toute la dimension tragique du personnage qui sent sa mort venir et accepte son destin.
En quelque sorte, j’ai retrouvé dans le personnage de Yoko le même plaisir qu’on peut avoir en commençant un jeu comme le premier The Legend of Zelda ou encore Dark Souls. On suit un personnage lambda évoluer dans un univers qui a l’air incroyable, toutefois celui-ci est difficile d’accès et ne livre pas tout de suite ses secrets et Yoko finit par en apprendre plus sur elle-même que sur l’univers dans lequel elle évolue. Ce n’est qu’en allant au bout d’elle-même et en survivant qu’elle pourra peut-être découvrir la mythologie des 12 Royaumes.
Le lecteur est dans la même situation que l’héroïne et découvre avec elle cet univers. Lorsqu'un nouveau terme/concept apparaît ni le personnage, ni le lecteur ne comprennent de quoi il s’agit. Sur ce point, l’autrice a aussi fait un choix intéressant en basant la géographie de son univers ainsi que son bestiaire et sa mythologie sur des principes linguistiques. En effet, Yoko est japonaise, or Les 12 Royaumes est un univers profondément inspiré de la mythologie chinoise. Les personnages, villes et concepts inhérents aux 12 Royaumes sont donc écrits en caractère chinois (dont certains caractères sont communs au japonais). La plupart des concepts, bestiaires, titres, noms de lieux ou encore personnages ne sont donc compréhensibles par Yoko qu’une fois qu’elle les a vu écrits, car en japonais (comme dans plusieurs langues parlées en Chine) certains mots ne sont compréhensibles qu’une fois qu’on a vu les caractères qui composaient ces mots. Le lecteur se retrouve alors dans la même position que Yoko en ce qui concerne le déchiffrage de ce nouveau monde, nous rapprochant alors un peu plus de celle-ci.
Ce livre, au même titre que la saga, est aussi un ouvrage intéressant dans l’univers de la fantasy, d’autant plus si on est plus habitués à des œuvres européennes ou américaines, car bien que reprenant des concepts occidentaux, le gros de l’univers est construit sur les mythologies chinoises ainsi que sur certaines légendes japonaises, ce qui change des classiques du genre. De plus, les romans sont illustrés par Akihiro Yamada (Les Chroniques de Lodoss: La Dame de Falis, RahXephon...) et son univers graphique se prête tout particulièrement bien à l’univers littéraire de Fuyumi Ono.
La Mer de l’Ombre - 1 est donc un très bon roman qui nous introduit bien dans l’univers des 12 Royaumes mais qui prend le temps d’explorer la psychologie de son personnage principal avant d’explorer son lore. C’est un roman qui peut en lasser certains mais qui est plus riche et plus profond que ce qu’on peut attendre d’un simple roman de fantasy pour ados.