“Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe”
Yukio Mishima offre à ses lecteurs un magnifique voyage les conduisant vers la Mer de la Fertilité au bout d’un périple d’une soixantaine d’années. Cette très longue traversée prenant place dans le Japon du XXe siècle et débutant en 1912, ne s’effectue pas sur un long fleuve tranquille mais sur quatre, quatre tomes tous très agités, différents les uns des autres mais se jetant au même endroit.
L’écriture de cet écrivain, limpide comme de l’eau de roche, inonde tout de sa beauté et parvient à transfigurer des paysages à priori anodins en des lieux hors de l’espace et du temps. Elle inscrit les personnages et le lecteur dans une contemplation d’un monde où se mêlent l’éphémère et l’infini. Son style est tel que dans une seule phrase Mishima peut embarquer son lectorat à la fois dans la stupéfaction et l’hilarité.
Bien que parfois l’auteur aborde des thèmes pouvant se révéler vagues, son écriture reste claire, y compris pour un néophyte en matière de littérature. Il n’hésite pas à nous éclabousser en abordant des sujets jugés sensibles comme le suicide, le nationalisme ou la perversion tant sexuelle que morale. De même, au fil de l’œuvre, des questions existentielles émergent et emportent à la fois les personnages et le lecteur dans leur tourmente. Elles les plongent dans une profonde méditation les poussant à remettre en question leur propre vie jusqu’à la société toute entière.
Lorsque le lecteur débarque enfin de ce long voyage, en 1975, il est tout de suite englouti par cette mer et fini par contempler le vide en elle. De ce gouffre sans fond découlent une profonde mélancolie et un doute insondable.
Yukio Mishima signe cette immense œuvre par son suicide spectaculaire, exécuté le 25 novembre 1970, juste après l’achèvement de son dernier tome, l’Ange en Décomposition. Il laisse un testament littéraire immense, tant sur le plan esthétique que métaphysique.