Annoncée, évidente depuis plusieurs années pour Kléber, le héros du livre, l’apocalypse est là – attentats et guerre nucléaire, fièvre hémorragique tueuse de masse, enfants accros aux jeux vidéo qui deviennent des assassins sanguinaires, forces spéciales de sécurité qui tuent sans sommation… – une fin du monde causée par la marchandisation, les pavillons de banlieue et les centres commerciaux.
«Elle se redressa, se cambra pour voir le plan de travail de la cuisine. Il n’y avait plus de cheverny. Qu’est-ce-qu’elle picolait tout de même. Oui, mais elle savait l’Odyssée par cœur. Kléber lui avait souvent dit qu’une fille qui savait l’Odyssée par cœur, tenait l’alcool comme elle et de plus connaissait le sens des mots «procrastination» et «obsidional», tout ça alors qu’elle était née après le premier choc pétrolier, eh bien, une fille comme ça n’avait rien à craindre, même si elle souffrait précisément, d’après lui, de procrastination obsidionale.»
Dans ce chaos, «La minute prescrite pour l’assaut» est un mode d’emploi pour une fin du monde devenue inévitable, une ode à la littérature, à Proust, Chateaubriand, à l’Odyssée, au sexe, au plaisir, aux bons vins, au Bollinger vieilles vignes, aux séries B des années 70, à Richard Fleischer et à Amy Winehouse à qui le livre est dédié, enfant du choc pétrolier broyée par le système.
«- J’ai envie de rouler avec vous dans la nuit jusqu’à un fortin en ruines.
– Le syndrome Fort Alamo
– C’est-à-dire ?
– Tenir encore, mener l’ultime combat jusqu’au bout, un combat dont on sait pourtant qu’il est perdu d’avance. Vous êtes un romanesque, Kléber.»
Paru en 2008 aux éditions Mille et une nuits, ce roman est un éloge du plaisir, extrêmement précieux en ces temps terminaux, où tous ceux qui se sont nés après le choc pétrolier, et qui se sont adaptés au monde contemporain, semblent être des mutants : un véritable coup de cœur, drôle et tragique.
«- Qu’est-ce que vous leur reprochez aux profs trentenaires ? demanda Sarah dans un coq-à-l’âne typique du mélange d’alcool et de tétrahydrocannabinol.
-D’être des mutants implantés, ce qui leur permet de supporter les sandwichs sous vide, les samedis dans les supermarchés, les programmes scolaires, l’offre politique, les pics de pollution, les crédits sur cent dix ans pour acheter un deux-pièces pourri en centre-ville ou un pavillon qui sent le cancer en banlieue, de ne plus se mettre à table, de ne plus lire.»
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