La Modification
6.8
La Modification

livre de Michel Butor (1957)

250 pages dans un train, entre Paris et Rome

Exercice stylistique évident, avec l'utilisation du "vous" pour personnage au lieu de la première ou de la troisième personne habituelle, et roman d'analyse, La Modification a de quoi en repousser plus d'un, surtout si l'on clôt le tableau en rappelant qu'est collée ici l'étiquette Nouveau Roman. Pourtant, un équilibre agréable entre les deux aide le lecteur à venir à bout de ce long trajet. Long trajet, en effet, puisque jamais vous ne descendrez du train. Les passagers défilent et vous restez assis jusqu'à Rome, ayant pour seules distractions de rapides passages au wagon-restaurant : l'immersion en Léon ("vous" vous appelez Léon.) est alors indéniablement minutieuse, on regarde avec lui la poussière qui tourbillonne, on remarque, à chaque fois que notre regard descend (j'ai vite cessé de compter), les losanges du tapis chauffant, on s'y raconte en boucle des histoire sur nos compagnons de transport, on leur invente des noms et des vies, on s'y raconte en boucle ce que l'on va faire en arrivant, et puis aussi des morceaux fictionnels de notre vie. Tout ce que l'on fait dans un train, regarder passer les gares et se raconter un millier de fois la même histoire de notre vie avec des "si", de ce que l'on va dire, au mot près, à notre amante, quand on sortira de ce train, tout cela est magnifiquement, mécaniquement répertorié : on accepte finalement vite le fait que l'on est Léon. La lecture n'est cependant pas aisée, dans ce rien cyclique, l'ennui guette quelque fois et on se force un peu à la lecture, surtout quand les dialogues, presque plus artificiels et mécaniques que le train, arrivent. Mais le cycle infernal de la pensée de Léon, des rouages du train, des tics comportementaux n'est pas sans se retrouver dans l'écriture, semblant essayer de tirer le lecteur vers la fin : le rythme accélère comme on s'approche de la clôture, des retours à la ligne non-expliqués sonnent comme le "tic" ou le "tac" de la mécanique qui avance et qui ici s'emballe : la modification est en marche.

Modification de quoi ? Modification du personnage, du "il" habituel en un "vous" tout d'abord déconcertant. Modification du statut du lecteur, alors, qui apprend petit à petit qui il est, et ce qu'il fait à bord de ce train. Léon, parisien, part sur un coup de tête à Rome proposer à son amante de venir avec lui vivre à Paris alors qu'il quittera sa femme. Chaque information est amenée au compte-goutte, on est d'abord pris dans un jeu de découverte, pour finalement aimer se laisser guider : au lieu de regarder un personnage déambuler dans les rues de Paris ou de Rome, on se laisse guider, on tourne à droite et à gauche quand on nous le dit, on visite les deux villes, on visite le Louvre, il y a un aspect attrayant pour le lecteur et ludique indéniable (comme ces livres d'enfants où , selon ce que l'on choisit de faire dans l'aventure, on va à une telle page : ici on ne choisit pas, mais on en a parfaitement l'illusion.). Le lecteur est alors obligé d'incarner Léon, pauvre homme franchement médiocre, incroyablement lâche et c'est même parfois un peu fatigant.
Modification des pensées de Léon : là est la modification principale. Si on parlait plus haut de roman d'analyse, ce n'est pas par hasard : on est le mieux placé pour observer tout au long du livre l'enchaînement des pensées du personnage, sa modification psychologique. Sans transitions, on s'endort et se réveille, et le rêve n'est pas écrit différemment de la réalité, ou des souvenirs ou des futurs fictionnels. Les paragraphes s'enchaînent comme des pensées qui se croisent, c'est au lecteur à chaque fois de faire un lien avec le reste :
Croisement de différentes temporalités qui annoncent d'abord inconsciemment que ici, aller à Rome la chercher, c'est comme rentrer à Paris. Modification symbolique du trajet. Chemin inévitable, l'amante ne ferait que devenir l'ennuyeuse épouse, elle n'est aimée que parce qu'elle incarne fronde, liberté, Rome. L'amante ne peut devenir qu'épouse, mécanisme infernal qui semble condamner le personnage à accepter que ses kilomètres parcourus sont pourtant une régression : il n'a jamais été aussi loin de pouvoir vivre son amour avec l'amante que lorsqu'il a prévu de l'épouser, mais, aussi, il n'a jamais été si lucide, et la régression de la situation n'est finalement qu'un avancement de la pensée.

Tout au long du trajet, le personnage trimballe un livre, de l'étagère, à la valise, à la banquette pour marquer sa place, puis de nouveau sur l'étagère, la banquette, l'étagère, la valise (oui, j'ai déjà parlé d'une mécanique infernale) : peut être aspect le moins convaincant de l'œuvre, ce livre dans le livre, qui est censé finalement aider lui aussi au déroulement de la pensée de Léon, la fin est alors peut être moins intéressante.
La modification, en soi, c'est le cliché que l'on se fait du Nouveau Roman : des idées intéressantes, mais une œuvre ennuyeuse quand même.
clairemouais
7
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le 27 août 2014

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clairemouais

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