On ne se félicitera jamais assez qu’un auteur (français de surcroît) nous dévoile des pans entiers de réalités scandaleuses contemporaines totalement inconnues. Lire un roman d’Olivier Truc, c’est ouvrir une fenêtre sur un monde différent, celui du nord de la Scandinavie. Les articles de l’auteur (dans Libération, Le Monde…) nous éclairent sur la manière dont sont traités les éleveurs de rennes qu’on oblige à abattre des bêtes (en Norvège), dont ont été traités les plongeurs pour trouver du pétrole sans respecter les paliers de décompression, au détriment de leur santé (Norvège), dont le peuplement ancestral des peuples autochtones n’est pas reconnu par la Suède. Ses romans nous apprennent aussi que le mot « lapon » était insultant (signifiant : qui porte des haillons), ou abordent l’eugénisme suédois (qui d’ailleurs a créé le premier « institut de biologie raciale », en 1922). Ses livres, passionnants, nous poussent à nous documenter sur ces sujets. Ce roman-ci traite en particulier des conflits entre éleveurs sami et bûcherons (locaux). Il nous donne un aperçu de la vie des éleveurs de rennes de nos jours, leurs tâches au sein du Sameby, leurs outils modernes, leur attachement à leurs traditions et en quoi ils continuent à être en butte à toutes sortes de tracas. L’auteur laisse aussi entendre les problèmes auxquels se heurtent les forestiers et comment les hommes de ces deux métiers, élevage et bûcheronnage, ont fréquenté les bancs de la même école, dans les mêmes villages, et se retrouvent opposés sans l’avoir réellement voulu. L’enquête des deux policiers de la Police des Rennes est totalement atypique, puisqu’il s’agit surtout de recherche dans les musées et leurs archives. Tous les thèmes abordés par Truc sont passionnants. Mais je trouve que la littérature, contrairement à la presse, apporte un plaisir particulier lorsque la langue est un outil artistique, les mots y sont ce que la couleur est à la peinture. Ce n’est pas le nombre de pages qui compte. Un roman très court peut être délicieux (comme par exemple l’Archipel d’une autre vie, de Makine, qui est un chef d’œuvre). Des auteurs plus prolixes, comme Fred Vargas, mettent en scène des personnages nuancés, ceux de Truc, surtout les principaux, les deux enquêteurs, n’ont pas beaucoup de présence ou d’épaisseur, ils sont esquissés grossièrement. Peut-être est-ce parce que c’est le 1er livre que j’ai lu de cette série, et qu’ils sont plus attachants dans les précédents ? Le sami Petrus est approché avec plus de soin, il est bien décrit, entres autres sa dernière randonnée seul, ce qu’il ressent, ce qu’il pense, ses contradictions, ses envies. Certains autres personnages sont caricaturaux et laissent perplexe, comme cette bande de vieilles femmes (leur rôle est très chouette, mais c’est leurs motivations et ce qui se passe dans leurs têtes qui est fumeux). Le vieil antiquaire est totalement invraisemblable (ce qui n’est pas grave dans un roman, le réalisme n’est pas essentiel, on est prêt à tout gober). Mais il est aussi incohérent, à son sujet on reste perplexe et insatisfait. On comprend qu’il ait dû disparaître à la fin de la guerre et se soit refait une identité, mais dans un syndicat « d’extrême-gauche » (ça existe, un syndicat d’extrême gauche ?) vraiment ? il n’y a que les journalistes pour mettre les extrêmes politiques dans le même panier ; et cette collection ? le côté malsain rôde, mais reste incompréhensible, inexpliqué. Pour tous ces aspects (la psychologie, les incohérences), c’est la langue qui pèche. Vu que ce n’est pas un livre traduit en français, on a le droit d’être déçu d’aborder un sujet si riche avec une langue pauvrette. Bref, un plaisir mitigé, mais un excellent sujet, contemporain en plus. J’ai lu ensuite Le détroit du loup, sur l’extraction de pétrole en mer de Barents, une autre révélation. Au sujet de la Norvège, une citation de choc : «n'oubliez jamais comment votre pays s'est enrichi. En risquant délibérément la vie de plongeurs hier et en bafouant les droits de vos Sami aujourd'hui. »