Comme le dit si bien la page officielle de cette collection :
« « Dyschroniques » exhume des nouvelles de science-fiction ou d’anticipation, empruntées aux grands noms comme aux petits maîtres du genre, tous unis par une même attention à leur propre temps, un même génie visionnaire et un imaginaire sans limites.
À travers ces textes essentiels se révèle le regard d’auteur·ices d’horizons et d’époques différents, interrogeant la marche du monde, l’état des sociétés et l’avenir de l’humain.
Lorsque les futurs d’hier rencontrent notre présent… »
La collection Dyschroniques est une de ces belles et récentes découvertes littéraires, de celles qui méritent d’être partagées. En dehors d’un choix pertinent de textes à faire (re)découvrir, une courte présentation de l’auteur ainsi que des pistes pour découvrir d’autres œuvres en lien témoignent du soin particulier de l’éditeur, Le Passager clandestin, à faire vivre ces nouvelles.
La collection a déjà quelques années, mais il n’est pas trop tard pour l’approfondir, ce que je fais avec gourmandise.
Une fois encore, La Montagne sans nom est une belle surprise.
Car cette montagne anonyme est celle qui bloque le développement de l’établissement d’une nouvelle colonie terrestre sur Plan de travail 35 (en attente d’un nom plus vendeur, plus rassurant). Morrisson est en charge du titanesque chantier, celui qui doit mettre à plat cette nouvelle planète la terraformer et l’agencer pour le confort des humains.
Mais rien ne va, comme tout bon chantier qui se respecte, terrain ou extra-terrestre. Les indigènes présents pestent, veulent revenir sur le traité conclu avec eux, les accidents s’enchaînent, Dengue, observateur d’une compagnie étrangère est dans les pattes, tout le monde est fébrile, et Morrisson peste et agit comme il peut.
L'auteur Robert Sheckley n’est pas un inconnu, il a publié de nombreuses nouvelles et plusieurs romans, plusieurs fois adaptés pour l’écran, petit ou grand. A la parution de cette nouvelle en 1955, il est déjà reconnu, et cela se comprend, La Montagne sans nom est remarquablement bien écrit.
Malgré l’éloignement incertain, à la date indéterminée, à la localisation spatiale inconnue, le cadre est dépeint avec un certain réalisme, ces personnages se débattent dans un environnement de chantier humain habituel, avec sa hiérarchie et ses machines.
La recherche de l’origine de ces coups du sort apparaît alors comme une enquête, où les suspicions se portent sur quelques uns, des coupables évidemment pas si évidents. Avec un véritable sens du rythme, ce jeu des accidents commence petit, pour prendre des proportions de plus en plus importantes. Le véritable responsable est plus surprenant, mais sa revanche est fondée, et on ne peut que l’applaudir.
Le résumé du livre évoque « le dernier des grands projets inutiles », et il n’a pas entièrement tort. Cet établissement sur d’autres planètes n’est pas fondé comme dans d’autres ouvrages sur la fin de la viabilité de la planète Terre, au contraire tout va bien, mais bien sur le désir de s’établir ailleurs, parce que c’est possible. Et tant que le prix à payer ne les concerne pas. Une arrogance typiquement humaine à vouloir traîner ses sales pattes partout.
Avec Morrisson, en bon chef de chantier, c’est aussi toute une justification savamment étudiée, un argumentaire pour permettre à ces grandes compagnies de prendre possession des lieux, des richesses et de les modifier à leur guise, pour par exemple transformer en marais en champ de blé. L’humain est au centre, c’est lui le maître, et Robert Sheckley avec une grande ironie démontre l’inutilité de ces grands projets, mais aussi bien les conséquences écologiques et même les hypocrisies des discours coloniaux, avec ces indigènes en bons sauvages qui devraient s’estimer satisfaits de leur sort. Une nouvelle compacte, mais aux messages évidents et bien amenés.