Avant le Zola dénonciateur et pamphlétaire revendiqué du "J'accuse" et du "Germinal, il y eut Emile le novelliste naturaliste qui aimait observer les petits travers de ses contemporains pour mieux croquer d'une plume solennelle des personnages pétris de contradictions.


Qu'il s'agisse d'un homme de bonne famille surplombant sa mort avec effroi mais s’apercevant in fine que celle ci est peut être ce qu'il pouvait lui arriver de mieux (La mort D'Olivier Bécaille), d'un arriviste de peu de choses dont la soif éternelle de gloire et de reconnaissance s'avère plus tard la cause principale de sa déliquescence morale et financière (Nantas, la plus rébarbative et conventionnelle selon moi), d'un couple petit bourgeois dont les affres sentimentales peu propices aux passions ardentes se révèlent par des circonstances étrangères à la volonté de Monsieur le lit même d'un feu nouvellement abrasif pour Madame (Les coquillages de Monsieur Chabre, d'une sensualité et d'un art particulièrement suggestif sur le désir plutôt surprenant mais conséquemment réjouissant de la part de cet auteur) et enfin d'un vieillard dont la supposée fragilité physique et psychique devient par inadvertance une alliée particulièrement précieuse à l'endroit ou ses jeunes comparses périssent violemment et inlassablement sous ses yeux estomaqués: tous ces récits prennent le contrepoint d'une situation de départ somme toute banale pour bifurquer soudainement vers un basculement irrationnel qui permet à Zola de pointer du doigt le caractère abstrait et versatile des vies humaines.


"Troisième nouvelle de ce recueil, « L’inondation » nous raconte une crue de la Garonne qui détruit un village et la vie d’une famille paysanne prospère en l’espace de quelques heures.


La raison qui me fait m’attarder sur cette nouvelle plutôt qu’une autre, c’est le réalisme avec lequel Émile Zola décrit cette crue soudaine du fleuve et les réactions humaines face à la mort qui rattrape cette famille qui se croyait à l’abri du malheur. « Notre maison semblait bénie. Le bonheur y poussait ; le soleil était notre frère. […] Je devais avoir gagné là-haut l’amitié de quelque saint ou du bon Dieu lui-même, car toutes les chances dans le pays étaient pour nous. » Un mélange de naïveté et d’arrogance.
Plutôt que de fuir la montée des eaux, la famille sous la conduite du patriarche narrateur s’installe au deuxième étage de la maison, « Vite ! vite ! criai-je. Il faut rentrer… La maison est solide. Nous ne craignons rien. » Tous se croient en sécurité, protégés. Ils continuent de vivre, riant, jouant aux cartes, minimisant les risques. Ils sont inconscients du danger… jusqu’à ce que l’eau effleure la fenêtre et que la réalité de la mort de leurs servantes, le plancher de leur chambre s’étant écroulé sous leurs pieds, les frappe de plein fouet.
Réfugiés sur le toit, ils attendent les secours du village voisin… ou la mort.
C’est à partir de cet instant que je trouve le récit le plus intéressant. Les réactions se diversifient, allant de l’héroïsme (futile) au fatalisme, sous le regard brisé du narrateur. Sapées par la puissance du courant, les maisons s’écroulent sous ceux qui tentent de rejoindre le clocher de l’église par les toits. Le radeau de fortune se désagrège sous la violence des chocs, égrainant les corps dans les flots déchaînés. L’amour même ne peut rien face à cette force de la nature. Stupeur, folie…
Un seul survivra, sans savoir pourquoi ni comment. « Les eaux ont eu la cruauté de ne pas m’emporter après tous les miens, pendant que je ne sentais plus mon malheur. C’est moi, le vieux, qui me suis entêté à vivre. Tous les autres sont partis, les enfants au maillot, les filles à marier, les jeunes ménages, les vieux ménages. Et moi je vis ainsi qu’une herbe mauvaise, rude et séchée, enracinée aux cailloux ! »
Un récit sans fioriture inutile, dans la pureté du réalisme. J’ai aimé"


http://sylviebeillard.fr/2018/07/la-mort-dolivier-becaille/

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le 20 mai 2020

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