La Mort de Pompée est un de ces fameux morceaux particulièrement prisés à l'époque de leur rédaction qui sont aujourd'hui tombés dans une relative désuétude, nous indiquant sûrement par là leur soumission au moins partiel à un goût du temps, à des modes qui ont eu tendance à les rendre moins universels.
Faisant partie des grandes tragédies historiques de Corneille, avec Cinna, avec Polyeucte, avec Horace, avec Suréna, et on en passe, il est un peu difficile de déterminer quel est le nœud de cette pièce étrangement emboîtée dans laquelle le personnage éponyme n'apparaît pas une fois sur scène et meurt très rapidement.
Ptolémée et Cléopâtre sont frères et sœurs mais surtout rivaux pour le trône d’Égypte dont ils se disputent la possession sous les yeux de César, en arbitre suprême dont il faut savoir ménager les rigueurs. La mise à mort traître de Pompée censée garantir à Ptolémée la victoire est une erreur stratégique puisque cela déplaît à César, qui sera sauvé du complot du même Ptolémée par Cornélie...la veuve de Pompée.
Ce qui fait la force de la pièce fait aussi sa faiblesse dans le sens où, composée de longues tirades de débats politiques sur les moyens à employer pour s'assurer la domination, elle se révèle assez sèche et les quelques raccords sentimentaux et lyriques que Corneille souhaite toujours faire figurer au centre de ses intrigues ne prennent pas ici.
Il paraît ainsi difficile de bien adhérer au caractère hallucinant d'une Cornélie qui n'atteint jamais l'incompréhension terrible d'une Pauline ou le fanatisme démesuré d'une Camille dans le même temps où elle se révèle la plus improbable, en justifiant dans des tartines lourdes pourquoi elle va sauver l'homme dont elle souhaite la mort afin qu'il soit mieux tué plus tard. Le couple César – Cléopâtre manque grandement d'allure et si Ptolémée et ses conseils font figure d'antagonistes intéressants, ils sont trop concurrencés par des figures bien plus fortes dans l'histoire dramatique – au hasard, Iago – pour qu'on soit emporté par leurs combines cyniques.
Pour le reste, c'est magnifiquement composé, puisque Corneille a assez de métier pour débiter du câble de quatrains parfaits au kilomètre (on le prend tout de même à recycler pas mal de ses effets en moins impressionnants, par exemple la rime foudre poudre qui est bien moins percutante que dans Horace).
Mais le cœur en semble bien absent. Et la leçon politique, qui met encore en lumière la clémence (calculatrice, peut-être, mais ce n'est même pas appuyé) d'un souverain absolu à légitimer, lasse pas mal.
Un bon exemple de ce que le code fait à une oeuvre qui par elle-même et en supposant qu'on puisse l'abstraire de son genre serait sans doute très impressionnante.