Toujours attiré par les idées subversives, j’ai accroché à la 4ème de couverture : un roman qui prétend que l’argent fait le bonheur ? Intéressant… L’argent ne sera pas, en réalité, le sujet du roman. Le sujet, c’est plutôt la quête du bonheur. Son crime crapuleux commis, Mersault, qui prendra un « u » dans l’Etranger, est à présent riche. Rapidement il quitte Alger : sa compagne Marthe dont il a pris conscience qu’elle ne faisait que flatter sa vanité par sa beauté plastique, le pitoyable tonnelier Cardona, ses amies Rose, Céleste, Claire, Emmanuel et René.
Cet argent va lui servir à voyager. Lyon, puis l’Est. Le voilà à Prague où il traîne dans les rues, rencontre des personnages énigmatiques, comme ce marchand de concombre au vinaigre ou cet homme à l’étoile rouge qui le fixe dans un bar. Ambiance à la Dostoïevski, mon passage préféré. Il monte encore au nord puis rentre, retrouve son groupe d’amies à la Maison devant le Monde, se met en couple avec une nouvelle femme, Lucienne, petite chose docile et sans cervelle comme la plupart des femmes qui peuplent le roman, il faut le dire assez misogyne. Les grandes questions profondes c’est pour Patrice Mersault, point.
Enfin, il acquiert une maison et cherche le bonheur dans le non-agir, mais un non-agir sous-tendu par une volonté. Page 148, en réponse à son amie Catherine qui lui a demandé s’il est heureux, il répond :
Ce qui m’importe c’est une certaine qualité de bonheur. Je ne puis goûter le bonheur que dans la confrontation tenace et violente qu’il soutient avec son contraire. Si je suis heureux ? Catherine ! Tu connais la fameuse formule : « si j’avais à recommencer ma vie », eh bien je le recommencerais telle quelle. […] Si je suis heureux c’est grâce à ma mauvaise conscience. J’avais besoin de partir et de gagner cette solitude où j’ai pu confronter en moi ce qui était à confronter, ce qui était soleil et ce qui était larmes.
Le roman donne le sentiment, en effet, que le héros va de révélation en révélation sur lui-même. Le procédé finit par lasser.
Le nouveau propriétaire fréquente les gens du cru : Pérez le manchot, Bernard le médecin, mais reste surtout seul. Le bonheur qu’il cherche ressemble furieusement à la mort, d’où le titre. Tout cela est chargé de réflexions philosophiques de haut vol (je me suis souvent senti dépassé), exprimées de surcroît dans un style surchargé : ça sent le premier roman et « l’ambition littéraire ». Assez ardu à lire, j’ai peiné à aller au bout malgré ses seulement 172 pages en édition Folio. Un simple brouillon pour l’Etranger (l’écriture de ce roman a d’ailleurs été interrompue pour rédiger l’Etranger), son chef d’œuvre à mes yeux, où l'on trouve une simplicité et une clarté qui font ici en grande partie défaut.