L’œuvre de Mircea Cărtărescu nous offre un étonnant mélange entre François Rabelais et les poètes maudits. Il reprend à Rabelais sa fascination pour le bas corporel, mais aussi l'abondance du vocabulaire technique, en particulier médical (le mot "péristaltique" revient comme une obsession), de même que la fusion entre ces éléments et des réflexions philosophiques et esthétiques. Il reprend aux poètes maudits l'atmosphère de décadence, de malaise, de dépression profonde face à l'inanité de l'existence et au caractère risible de toutes les activités humaines.
Narrativement, Cărtărescu est d'abord un grand nouvelliste. Dans Solénoïde aussi, bien que le narrateur fût unique, chaque chapitre pouvait se lire indépendamment, la trame étant plus que légère, malgré des échos nombreux. Il en est de même ici, où les cinq textes qui composent cet ouvrage que la couverture appelle fallacieusement "roman" (terme désormais, dans l'édition, quasi-synonyme de "livre") peuvent être lus indépendamment. Des échos de lieux et de personnages les parsèment, créant un doux effet de clin d’œil au lecteur, mais on ne trouvera pas de trame centrale, ni même parfois réellement de thème central, la nostalgie étant absente de "L'Architecte", récit qui forme l’Épilogue du livre.
"Le Roulettiste", "Le Mendébile", "Les Gémeaux" et "L'Architecte" sont quatre grands récits. Ils sont la raison pour laquelle je recommande chaudement ce livre. "REM", le récit le plus long (200 pages, soit presque la moitié du total), m'a moins plu ; il était vraisemblablement surprenant à sa sortie, le récit onirique lié aux jeux des petites filles étant impressionnant, mais, comme j'avais déjà lu Solénoïde, écrit plus tard, il m'a semblé que ce récit en constituait une sorte de brouillon. Heureusement qu'on débouche finalement sur cette merveille qu'est "L'Architecte", quarante pages de pur plaisir.