Éric-Emmanuel Schmitt a rencontré Dieu, il nous invite à être gentils

J’ai une profonde amitié, toute littéraire, pour Eric Emmanuel Schmitt (EES). Je cultive une grande admiration pour le dramaturge, celui du Visiteur, des Variations énigmatiques ou de La nuit de Valognes. Le romancier est plus consensuel. Le Cycle de l’invisible a connu un extraordinaire succès de librairie avec Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran ou les soufis musulmans peuvent être très gentils, Oscar et la Dame rose, les catholiques peuvent être très gentils, L'Enfant de Noé, les juifs sont souvent très gentils, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir, les Japonais zen aussi, Les Dix Enfants que madame Ming n'a jamais eus et Milarepa, sans oublier les Chinois confucéens et les bouddhistes tibétains. Je pense n’avoir oublié personne. Un tel acharnement dans la bienveillance religieuse ne pouvait que susciter des interrogations fiévreuses de nos médias. Depuis vingt-cinq ans, EES répondait invariablement par l’évocation d’une conversion subite, à la suite d’une expérience saharienne, mais refusait d’en dire plus. La tension était à son comble quand, en septembre 2015, EES annonça la parution de La nuit de feu. Lorsque mon amie commune Astrid m’offrit le livre… Astrid est tout sauf commune, mais nous communions dans la même affection pour EES ! Je reprends, mon amie m’offre donc le dernier opus, je me précipite : il cite d’emblée Charles de Foucault et Blaise Pascal. Comment ne pas être séduit pas de tels parrainages ? Je ne prétends pas à la même familiarité avec les deux hommes : l’ermite m’intimide par son ascétisme, le polymorphe janséniste me fascine par l’étendue de son génie. J’ai beau lire et relire Les Pensées, je m’y perds. Je ne parviens pas à le suivre jusqu’au terme de ses raisonnements. EES est normalien et agrégé en philosophie. Ils ont vécu la même expérience. Or, je comprends EES : il saura me parler. J’attends qu’il m’éclaire et me propose l’équivalent d’un « Blaise Pascal pour les nuls ».


L’ouvrage est court. D’une très agréable plume, il brosse un portrait distrayant des guides et des marcheurs. Il consacre une phrase gentille aux chameaux, puis à la faune et la flore, au coucher et au lever du soleil, aux étoiles et à la lune, à la chaleur torride et aux nuits glaciales. Un bref chapitre reprend les preuves philosophiques de l’existence de Dieu et leur classique dénonciation. Ses compagnons de voyage acceptent la foi du guide algérien, mais brocardent celle de la catholique de service. Pourquoi ? Après réflexion, EES déclare : « Tu as raison, en Europe les intellectuels tolèrent la foi mais la méprisent. La religion passe pour une résurgence du passé. Croire c’est rester archaïque, nier, c’est devenir moderne. (…) Ils ignorent les deux (islam et catholicisme) (…) Au mépris du fidèle s’ajoute le mépris du sauvage. » Les Occidentaux cumulent ignorance du fait religieux et racisme. EES ne m’avait plus accoutumé à une telle audace. Pourvu que cela dure !


Le récit de l’expérience proprement dite prend cinq pages. EES est perdu dans le désert, sans eau ni protection. La nuit tombe, il va mourir. Il s’allonge et s’envole dans une envolée mystique. Il connaît une joie profonde et, depuis, ne redoute plus la mort et se déclare croyant. Peut-il nous en dire plus ? En quoi croit-il ? Qu’est-ce que Dieu lui a dit ? Non. Il croit mais ne sait pas. Le croyant sachant et son symétrique, l’athée sachant, sont dangereux, car potentiellement intégristes. Heureux ceux qui croient, ou pas, sans chercher à savoir ! La message d’EES rejoint celui, insipide, de Paulo Coehlo : « Soyez gentil ! ». Il prône un humanisme déiste, un care ouvert à la transcendance, un agnosticisme pour tous. C’est tout. Point de glose, de gnose ou de dogme chez EES. À relire son œuvre, il est évident que toutes les religions se valent, il suffit de croire et d’aimer ! Je comprends mieux son colossal succès d’édition, son message est parfaitement adapté à une société consumériste, laïque et individualiste : crois en ce que tu veux, mais surtout garde le pour toi.


Je ne peux m’empêcher de rapprocher EES de Gilbert Cesbron. Ses très accessibles ouvrages connurent, après guerre, des tirages considérables. Pourtant, la comparaison est injuste pour Cesbron, qui ne craignait pas de s’affirmer catholique romain et qui publia, à la fin de sa vie, un magnifique Ce que je crois.


Je reste donc sur ma faim. EES a connu une nuit d’extase, mais est resté aux portes du mystère. Il a fui une éventuelle rencontre. S’il accepte d’en faire mémoire ; il note avec lucidité qu’il sait pouvoir l’oublier car Dieu respecte sa liberté ; il refuse d’en tirer le moindre enseignement. Pour aller plus loin, je n’ai d’autre choix que de me confronter, une nouvelle fois, à ce maître exigeant et inquiétant de Pascal.


Juillet 2018

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le 26 oct. 2015

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Step de Boisse

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