Les 120 pages de La nuit de Gethsémani se lisent d'une traite. Ensuite - étrange ! je n'ai pas retenu grand chose. Merde alors ! Recommençons stylo en main. Dès que je prends des notes, la grotte du mont des Oliviers s'entrouvre... Mâchons le texte de cet essai sur la philosophie de Pascal... Goûtons-le, arrêtons-nous... Régulièrement, je l'ingurgite... je communie avec Chestov. Lionel ingère Léon... Du cannibalisme !
Et Blaise Pascal alors ?
Il ne cesse de renier ses personnalités successives : le savant, le mondain, l'homme d'affaires, le moraliste, l'homme de raison, le polémiste,... Le Pascal des Pensées n'est plus le même homme que celui des Provinciales. Cette comète incandescente, tenaillée par la maladie, souffrait dans sa chair... Un abîme s'ouvrait sous ses pieds... Le sommeil le fuyait...
Chestov nous aide à mieux comprendre le Pascal des Pensées, notamment ses engagements de prophète, ainsi : "Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là".
Mes neurones ont décidé de le prendre au sérieux. La nuit en sera moins paisible. Dans l'insomnie, l'esprit s'accroche. Ou décroche, c'est selon. N'est-ce pas, amis Friedrich ?
Comment faire coexister foi et raison ? D'autres avant Pascal se sont heurtés au problème. Augustin le reconnaît : "Je n'aurais pas cru l'Évangile si l'autorité de l'Église ne m'y avait contraint". Et Tertullien : "Le fils de Dieu a été crucifié : ce n'est pas honteux parce que c'est honteux. Et le fils de Dieu est mort ; c'est crédible, parce que c'est insensé. Et ayant été enterré, il ressuscita ; c'est certain, parce que c'est impossible." Martin Luther pointe ses naseaux fumants de moine en colère (Dies irae), fustige les abus de l'Église et rompt avec Rome. Nietzsche multiplie les blasphèmes envers Dieu, comme Pascal les louanges, mais leurs démarches sont jumelles. Les déraisons de la raison nous guettent et trop de raison nous égare. Dans nos sociétés ravagées par le nihilisme et les dépressions épidémiques, la profondeur de Pascal et de Nietzsche inquiètent. Leurs pensées restent fondamentalement incomprises.
Ne pas dormir jusqu'à la fin du monde ?
Nous les bipèdes programmés à dormir un tiers de notre vie, en sommes-nous capables ? Blaise Pascal nous demande de communier dans l'insomnie à la recherche éperdue de Dieu. Est-ce bien raisonnable ? Rûmî ou Kâbir ont les mêmes exigences...
Par-delà le sommeil de la raison - à Dieu va !