Fini La Parade de Dave Eggers, un roman de 2019 d'un des noms qui m'intéressent encore assez dans les nouveaux littérateurs d'Amérique du Nord.
Quatre est employé d'une entreprise de reconstruction occidentale. Il est missionné dans un pays non nommé, qu'on imagine facilement d'Afrique subsaharienne, pour goudronner une route qui va faire rejoindre le sud rural à la capitale du nord après une guerre civile sauvage.
C'est un type très froid et professionnel, habitué à ce type de job, et efficace précisément parce qu'il sait regarder droit devant lui sans jamais vraiment s'intéresser à ce qu'il se passe, littéralement, à gauche et à droite. Mais l'adjonction d'un assistant, Neuf, négligent et vagabond, va l'empêcher de mener sa mission avec le détachement qu'il espérait alors que le long de la route divers incidents impliquant les civils se multiplient.
Je suis un peu partagé sur le bouquin, non que ce soit mauvais, mais il avait beaucoup de munitions pour devenir dans mon esprit une lecture culte et finalement je le trouve simplement bon. Structurellement, il y a une utilisation de la linéarité et de la répétition pour épouser le fond, l'histoire d'un homme qui bâtit une route dans l'indifférence, qui est très prenante. Un peu comme ce que proposent parfois les westerns ou des films comme Fury Road au cinéma, Dave Eggers a dans ce bouquin une manière de rendre palpable, graphique, son motif qui est balaise.
Dans le même ordre d'idée, la relative faiblesse stylistique du bouquin, sa simplicité, son dépouillement, épousent à la fois bien le caractère du personnage lacunaire et mystérieux sur lequel la narration est focalisée et l'ambiance interlope d'un pays en (fausse) sortie de crise dans lequel la survie prime sur les conceptions civiques de l'occident.
Mais le problème, c'est que l'auteur ne fait pas grand chose de ça en-dehors de nous rappeler que les Occidentaux, quand ils font de la reconstruction, ils ne règlent pas grand chose, qu'ils ont des intérêts, et que ce sont des idiots utiles couvrant tout un tas d'exactions politiques violentes dont ils ont besoin pour maintenir leur partenariat avec des gouvernements abusifs sur place. Je sais pas si le public nord-américain a besoin d'une fiction symbolique pour savoir ça, nous on patauge dans soixante-dix ans de françafrique, je crois qu'on commence à situer l'idée. Je pense connaître des films ou des bandes dessinées qui traitent de ça à la fois avec plus de subversion et plus de profondeur que cette Parade, et ils ont déjà quelques années au compteur.
On aura du mal également à ne pas épingler une petite faiblesse dans la composition, dans la mesure où l'acidité du roman a besoin de passer par une phase de faux optimisme avant de nous casser les reins. Ce n'est pas assez subtil dans l'agencement des épisodes, on s'y attend, et ça amoindrit l'effet final d'une dernière page pourtant pensée pour nous cueillir à froid. Dommage.
Il y a là-dedans un trait efficace, un outil qui est bien utilisé pour évider des évidences. Et ça donne mine de rien un gros coup de plat à un bouquin qui avec plus d'ambition et de relief pourrait être brillant et instructif. On tombe finalement plus dans le bavardage que dans le néo-Conrad qu'aurait pu être Eggers ici. On tape dans l'eau et ça frustre, parce que la technique derrière elle demeure.