Problèmes de construction.
Les reproches que je vais faire à cette oeuvre balzacienne, moi qui aime pourtant Balzac, sont assez différents de ceux des autres critiques de La Peau de chagrin. Personnellement, je suis habituée aux longues descriptions, elles font une particularité de Balzac et, sans me lancer dans une explication littéraire et aussi ennuyeuse que les descriptions elles-mêmes, je me contenterai de dire qu'il suffit de les lire en diagonale.
Non, ce n'est pas ce qui m'a gênée dans La Peau de chagrin, une des études philosophiques de La Comédie humaine.
Ce qui m'a gênée, c'est ce qui m'a semblé être une construction peu rigoureuse : le début est lent, bien lent, trop lent, la peau de chagrin en elle-même apparaît après des élans mystiques ma foi assez rares chez Balzac mais pas forcément appréciables pour autant ; puis enfin, on se dit "ah ça y est ça commence !" et puis non, parce ce qu'on a une jolie analepse qui dure la moitié de l'oeuvre, sans qu'on s'attache à notre sujet, ce qui en soi est intéressant mais frustrant ; et enfin, la vie de Raphaël, le héros, avec sa peau de chagrin. Subdivisons encore ces parties : dans la deuxième, on s'attarde pendant une éternité sur la misère de Raphaël et on passe à une vitesse folle sur ses débauches, et puis ensuite on balance sans queue ni tête dans un récit redondant ; dans la troisième, on a de bizarres ellipses, de bizarres fuites, de bizarres revirements d'humeur qui semblent tout à fait fantasques. Bref, le tout m'a paru peu cohérent, surtout au niveau de la répartition du temps, dans le récit comme dans la répartition des pages attribuées à chaque événement.
J'ajoute aussi, mais ça va avec, que les personnages les plus importants apparaissent mais surtout disparaissent subitement, comme ça, c'est fun alors zou ! envolés. Pour ce qui est des personnages d'ailleurs, Foedora est une réussite, Raphaël est plutôt intéressant, et Pauline, cette pauvre niaise, est insupportable mais bon, elle est belle, surtout à la toute fin, donc on lui pardonne.
Le roman n'est donc pas un échec complet, loin de là, et il y a aussi des choses truculentes : ainsi, voir Balzac se moquer de la médecine et de pseudo-savants passant leur vie à recenser toutes les espèces de canards existantes, c'est très drôle. J'ai beaucoup aimé aussi l'épisode des amours non-réciproques de Raphaël et Foedora, surtout la scène fascinante où Raphaël l'épie dans son sommeil. (La question est : et si ce génie de Stephenie Meyer s'était inspiré de Balzac pour Twilight ? Ca vous en boucherait un coin hein ? ... Bon osef.) Et parfois j'ai presque été touchée, emportée par la prose toujours superbe de Balzac. L'épilogue enfin, bien qu'en faisant des tonnes, est charmant.
Parlons aussi brièvement du fantastique : je trouve que Balzac mêle de façon assez habile le côté mystique (auquel il croyait dur comme fer, il ne faut pas l'oublier, malgré sa passion pour la science et la philosophie) et le roman d'apprentissage, qui joue avec le lecteur au niveau de son déroulement, malgré une chute inéluctable - et une progression ratée à mon sens, comme je l'ai dit plus haut. Réflexion sur le désir, etc, hommage à Faust, bref un mix de classique et de nouveauté. C'est intéressant mais il n'y a guère de suspense. Et le mystique est bien intégré au roman, mais ne m'a pas enchantée.
Bref, c'est un constat en demi-teinte que je fais en refermant La Peau de chagrin. Ce n'est pas un mauvais roman, c'est surtout maladroit, et heureusement ça s'améliore grandement par la suite (Le Père Goriot est fabuleux !). Mais les intentions sont louables, les idées parfois bien trouvées, et comme je le dis souvent, j'ai bien du mal à sous-noter un classique de la littérature.