Pour raconter Nadia Comaneci, sa prouesse, ce tourbillon, les trous noirs, l'image d'un régime qui nous paraît lointain et fourbe, Lola Lafon a choisit de confronter le récit purement biographique et romancé avec "sa pensée en marche". Elle alterne les passages de pure narration avec ceux, en italiques dans le livre, de ses échanges imaginaires avec la gymnaste, mais aussi de ses réflexions sur le livre en train de s'écrire. Si bien qu'elle renouvelle presque l'idée de la biographie, sentant sa main comme happée, forcée par un récit unique, celui de l'athlète vedette, confronté à ses propres recherches. S'il n'y a pas une vérité: ni construction robotique d'une enfant-médaille, voix du régime, ni belle épopée d'une enfant choyée par son pays, alors Lola Lafon livre toutes les vérités, toutes les facettes d'une réalité fantasmée par delà l'écran, devant ces grands événements plus politiques que sportifs que sont les jeux olympiques, où le 10 surgit pour la première fois, à Montréal.
L'écriture est fluide, réfléchie, posée. Elle parvient aussi à retranscrire dans l'écriture, l’effervescence, l'étouffement, l’enivrement de l'entrainement qui parait absurde et épuisant mais qui apparaît comme seul garant d'un talent à entretenir, avant que le corps ne change. La fabrique à champions(-nes) n'a pas de frontière, dès lors qu'elle devient un enjeu de fierté nationale.
Le récit, plus ou moins chronologique, débute par l’affolement des compteurs, la découverte d'un phénomène qui se révélera humain, trop humain. Car derrière cette enfant qui attendra son accomplissement total pour remercier, qui souvent ratera ses grands rendez-vous avec la presse, il y a un être revendicatif, qui veut donner une autre image de la Roumanie dans les années 80. Ce n'est plus du gris que veut Nadia, c'est autre chose. Avec ça, Lola Lafon parvient à accrocher son lecteur, en éclatant son récit, sans jamais le perdre. Avec cette conscience accrue, sans cesse en éveil, qu'écrire quelqu'un c'est en faire à la fois le spectateur et l'acteur de sa propre vie. Avec cette contradiction, Lola Lafon s'en sort en funambule, éclairée par sa lucidité.