Je suis convaincu que les gens qui n'aiment pas Modiano sont des gens qui manquent cruellement d'intelligence. On est obligé d'aimer Modiano.
C'est vraiment un prix Nobel à part, qui n'écrit pas comme les prix Nobel classiques. Modiano n'écrit rien, aucun sentiment, c'est brut de chez brut et c'est ça qui fait son charme. La place de l'étoile, c'est cru, c'est net, il n'y a pas de compassion ou de sentimentaliste dans l'écriture, et pourtant, c'est beau !
"Je viens de faire la connaissance de Tania Arcisewska, une juive polonaise. Cette jeune femme se détruit lentement, sans convulsions, sans cris, comme si la chose allait de soi. Elle utilise une seringue de Pravaz pour se piquer au bras gauche.
[...]
Un matin pendant mon absence, Tania se tranche les veines. Pourtant, je cache avec soin mes lames de rasoir. J'éprouve ne effet un curieux vertige quand mon regard rencontre ces petits objets métalliques : j'ai envie des les avaler.
Le lendemain, un inspecteur venu spécialement de Paris m'interroge. L'inspecteur La Clayette, si je ne me trompe. La dénommée Tania Arcisewska, me dit-il, était recherchée par la police française. Trafic et usage de stupéfiants. Il faut s'attendre à tout avec ces étrangers. Ces juifs. Ces délinquants Mitteleuropa. Enfin, elle est morte, et c'est tant mieux."
C'est également un roman plein d'humour, incisif. Lui pourtant amoureux de Paris, ville dans laquelle il aimait se perdre la nuit alors qu'il n'avait que 9 ans, ridiculise à merveille les bourgeois qui ne connaissent rien d'autre de la province que les restaurants étoilés au Guide Michelin. On aime détester ces gens (qui méritent d'être détestés) avec Modiano. L'humour sur les juifs vaut aussi son pesant de cacahuètes.