On sait que le genre tellement populaire (on peut dire aussi "commercial") est avant tout porté par des écrivaillons qui mettent en place et exploitent sas vergogne des formules qui leur assurent le succès. Il nous arrive même, et plus souvent que nous devrions, d'en lire. Mais aucune inquiétude à avoir, ce métier-là, celui d'écrivain de "roman de gare" n'en a plus pour très longtemps : n'importe quelle AI bien programmée sera bientôt capable de remplacer les Coben et autres Thilliez, sans que nous y perdions grand chose.

Mais les amateurs de littératures savent que depuis Chandler et Hammett (pour la faire simple...), il y a aussi de véritables (grands) écrivains qui ont éclos dans le genre, et sont l'honneur du polar. James Lee Burke est l'un d'eux, au moins aussi immense que James Ellroy, par exemple, même s'il n'est pas aussi connu. Lire un Burke, c'est l'assurance d'un voyage enchanteur dans le pays des mots enchantés, des images magiques, de sensations rares, des sentiments sublimés.

Prenez par exemple la Pluie de Néon, qui date de 1987 et est le premier bouquin mettant en scène Dave Robicheaux, policier cajun "hardcore" qui lutte autant contre le mal gangrénant sa Nouvelle Orléans adorée que contre ses propres tendances autodestructrices (oui, c'est un cliché, mais chez Burke, les clichés sont aisément transcendés). L'histoire, qui fait danser dans le bayou de la Louisiane et les rues mal famées de la Nouvelle Orléans mafieux faussement débonnaires, gangs colombiens et agents "rogues" (ou pas) de la CIA autour d'une intrigue abstraite parlant de trafic d'armes avec les contras, n'est pas vraiment passionnante : les amoureux d'enquêtes minutieuses et logiques n'y trouveront pas leur compte. Mais la manière dont Robicheaux fonce dans le tas, armé d'un flingue, mais surtout de ses principes moraux, hanté par les visions d'horreur de son passé au Vietnam, est tout simplement époustouflante. Les pages physiquement éprouvantes - déchéance physique, tortures, violence radicale - alternent avec les moments de pure beauté - description bouleversante de la nature louisianaise - et les brefs réflexions philosophiques (oui, osons le "gros mot" !) ; et nous voilà bouleversés, les larmes aux yeux.

Un chef d'œuvre, non pas du polar, mais de de la littérature tout court.

[Critique écrite en 2023]

EricDebarnot
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 11 août 2023

Critique lue 50 fois

2 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 50 fois

2

D'autres avis sur La Pluie de néon

La Pluie de néon
EricDebarnot
9

James Lee Burke !

On sait que le genre tellement populaire (on peut dire aussi "commercial") est avant tout porté par des écrivaillons qui mettent en place et exploitent sas vergogne des formules qui leur assurent le...

le 11 août 2023

2 j'aime

La Pluie de néon
EmmanuelLorenzi
7

Critique de La Pluie de néon par Emmanuel Lorenzi

Dave Robicheaux, Cajun et fier de l'être, exerce la difficile profession de lieutenant de police à La Nouvelle Orléans. Robicheaux se plait à se considérer comme un bon flic et c'est aussi l'avis de...

le 9 nov. 2012

2 j'aime

La Pluie de néon
PaulStaes
9

La lumière dans le roman noir.

Les spécialistes de l'histoire de l'art ont tendance à distinguer, dans la Renaissance italienne, deux écoles de peinture. La première est la plus connue : celle de Vinci, Michel Ange et Raphaël...

le 1 déc. 2024

1 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25