Un livre sur les inégalités, le racisme et le mépris de classe en France et au Maroc à travers le destin de deux jeunes femmes issues, pour l'une, de la bourgeoisie et pour l'autre, d'un milieu modeste. Des sujets évidemment très intéressants, mais abordés de manière très caricaturale voire irréaliste. En ce qui concerne le Maroc, comme je n'y ai jamais les pieds, je ne dirai rien car je ne m'y connais pas. Mais pour la France, beaucoup de scènes me font énormément douter. C'est à se demander si l'auteure vit vraiment dans l'Hexagone. Pour ma part, les incohérences me sautent aux yeux :
1) Le personnage de Pierre-Yves, harceleur raciste et / ou misogyne me paraît douteux. On est à Sciences Pô dans les années 2006 / 2010 et apparemment dans des milieux cosmopolites et aisés, c'est possible d'avoir des gros racistes balourds comme ça. Bon admettons. Le gars passe sa vie à harceler Kenza avec des remarques racistes mais personne ne songe à le remettre à sa place ou à porter plainte contre lui (on est pourtant dans un milieu où les gens ont la culture et surtout les moyens de se défendre). Pire, son racisme est relativisé (il cherche sa place le pauvre petit, il se donne des airs) et surtout il continue d'être invité dans les soirées ! Pourquoi ? Je pense que dans la réalité, un tel personnage (s'il existe vraiment) serait complètement ostracisé. On est dans la France des années 2010, pas 1950 et en plus en milieu cosmopolite. Bref.
2) Deux événements sur la vie de Rayan (l'ami de Kenza, d'origine marocaine, qui est né en France). Je pense que l'auteure a voulu reprendre le cas d'une maman voilée qui accompagnait une sortie scolaire au Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté en 2019. Interpellée par un élu RN, il lui a été demandé de sortir "au nom des principes de laïcité". Ce qui avait suscité un tollé et beaucoup de contestation ! L'auteur transpose ce cas à un prof qui demande la même chose, ce à quoi Rayan s'oppose, ce qui lui vaut une exclusion temporaire de l'établissement. Alors, jamais un prof ne ferait une chose pareille tant c'est un sujet glissant. Il risque de se faire mal voir par de nombreuses familles et élèves pour quoi au final ? Dans les collèges difficiles, le soutien des familles est vital. Aucun prof ne prendrait un risque pareil pour une histoire de voile. Enfin, Rayan arrive à la fac de Nanterre. Il est sous-entendu qu'il est victime de racisme et qu'on l'appelle Mohamed. Est-ce que l'auteure a déjà mis les pieds dans cette université ? D'abord, ce n'est pas du tout une fac de 2ème zone comme c'est implicitement dit et en plus, il y a tellement d'étrangers ou d'enfants issus de l'immigration qu'un tel racisme envers un fils d'immigrés marocains me paraît très improbable.
3) La fin, très conte de fées. Fatiha tombe enceinte (comme toujours dans les romans, elle a eu UN rapport sexuel et pas de chance c'est tombé sur un jour d'ovulation), se fait abandonner, tente d'avorter et là, le médecin qui la sauve, célibataire, stérile, se dit qu'il veut bien l'épouser et adopte son bébé... Quant à Kenza, elle a largué sur un coup de tête son petit ami Français... Mais celui-ci, au bout d'un an, se réveille en disant qu'elle lui manque et saute dans le 1er avion pour le Maroc pour la retrouver...
4) Le personnage de Mamoun, le seul qui a une conscience politique, semble au courant de la luttte des classes et est déterminé à faire quelque chose, est complétement survolé. Dernier passage où il refuse obstinément de faire le Ramadan et se prend un crachat, après, plus rien. Pourquoi ? Que faut-il en conclure ?
5) Quid du printemps arabe au Maroc ? A peine évoqué. C'est un peu comme si vous écriviez la vie de deux étudiantes de Paris dans les années 68 - 70 en consacrant 2 lignes à Mai 68...
Pour conclure (car ma critique est assez longue), je dirais qu'évoquer les inégalités et le racisme (et encore c'est préférable de rester dans la réalité), c'est bien, mais ceux qui combattent ces travers, c'est mieux. Là, ça reste très plat. On a des inégalités et du racisme et tout le monde ou presque a l'air de trouver ça normal, même ceux qui en sont victimes.