La Poussière des Rêves marque pour l’auteur canadien le début de la fin. Pour clore son cycle fleuve, il a décidé d’écrire un diptyque et cet opus en constitue la première partie. Quel que soit l’auteur, l’on peut imaginer l’épreuve que constitue la mise en mots de l’épilogue de l’œuvre d’une vie. Pourtant, concernant Erikson, cela ne semble pas avoir été si insurmontable.
Tout juste précise-t-il en préface que, une fois n’est pas coutume, ce tome se termine sur un cliffhanger. Un livre de deux mille pages n’étant pas acceptable, il n’a pas eu d’autre choix que de découper son intrigue. Et c’est bien un final paroxystique qui attend le lecteur.
Ce neuvième tome laisse son lecteur sonné et hagard. Il ne s’agit pas seulement de ce gigantesque affrontement final qui défie plus que jamais les limites de l’imaginaire. Oh, il est bel et bien furieux et démesuré, comme toujours. Mais c’est surtout l’étourdissement que l’auteur assène en plaçant quelques nouvelles pièces de son puzzle gigantesque, donnant sens à des évènements lointains, provenant parfois du deuxième tome du cycle, soit au bas mot 8000 pages plus tôt.
L’auteur a toujours brillé dans l’art de la convergence, tout lecteur d’un ou plusieurs opus du Livre des Martyrs le sait bien. Mais lorsque celle-ci ne se limite plus aux arcs du tome lui-même, mais à l’échelle du cycle, il faut bien reconnaître que ça fait son petit effet. La satisfaction est entière, la joie est immense.
Et il y a ce dernier échange, annonçant un dernier tome à la puissance émotionnelle démesurée, aux implications gargantuesques, sous-entendant qu’il ne s’agissait pour le moment que d’évènements secondaires. En sus de finir fort, il sait teaser le bougre !
Pour en arriver là, toutefois, le lecteur a dû endurer un très long roman, de ceux qui prennent peut-être parfois un peu trop leur temps. Le style est fluide, le propos est captivant, mais il faut bien admettre que l’auteur semble obliger de développer la psyché et le quotidien de ses personnages pour masquer le presque immobilisme de l’intrigue. La circonstance que la majorité des arcs repose sur une marche n’est pas anodine. Or, rares sont les évènements dignes de rendre ces marches passionnantes. L’auteur en est bien conscient et la thématique de l’ennui des armées, très développée, a probablement été envisagée comme une résonance possible chez le lecteur qui est mis à l’épreuve. Erikson ne se prive pas de jouer avec la frustration et il vaut mieux que le lecteur n’y soit pas allergique. Tout comme son armée ne sait rien des intentions de Tavore et la suit aveuglément, le lecteur n’a pas la moindre idée des intentions de l’auteur et du piège dans lequel il est emmené comme un mouton. Alors comme à chaque roman du cycle, il est juste conseiller de s’accrocher et faire confiance ; la patience est toujours récompensée.
Cette critique ne doit pas laisser à penser que le livre serait ennuyeux. C’est même tout le contraire. Les personnages sont toujours aussi attachants, les éclats de rire et tourments ne manquent pas, les pensées et intentions sont détaillées et cohérentes, les morts déchirantes émaillent le voyage… L’auteur développe d’ailleurs avec force détails la race des K’Chain Che’Malle, bien souvent évoquée dans les tomes précédents mais jamais mise à l’honneur. Il apparaît assez évident que l’auteur attendait depuis longtemps de pouvoir en parler et il ne lésine pas.
Tous les ingrédients sont réunis dans cet avant dernier tome et la récompense est une nouvelle fois à la hauteur de la promesse. Mais La Poussière des Rêves ne doit pas être lu autrement qu’avec la certitude que le grand clash n’aura pas lieu, que le moment n’est pas encore arrivé. Et après avoir tourné la dernière page, la prise de conscience terrifie : la fin est proche et l’auteur qui n’a jamais trahi un engagement nous annonce un chambardement hors catégorie. Le lecteur avide peut piaffer d’impatience. Cette fois, c’est certain, les pions sont en place et il n’y aura plus de détours. Tous les regards sont désormais braqués vers le Dieu estropié.