(Cher lecteur, si tu ne veux pas te faire révéler toute l'intrigue, passe ton chemin)
Qu'est-ce qu'elle m'a énervée cette Princesse de Clèves !
Avec sa droiture irréprochable, sa vertu, sa contenance, son sens du devoir, de l'honneur... On a qu'une envie, c'est qu'elle se lâche enfin et se jette dans les bras de son Duc de Nemours, puisque de toute façon il l'aime et elle aussi.
D'un autre côté, c'est aussi ce qui fait le charme de cette princesse : sa volonté presque effrayante à résister à la passion quoi qu'il advienne. Et contre toute attente, on finit même par la comprendre...
Cette femme qui aime en cachette, sans se l'avouer tout d'abord, puis confie ses tentations d'adultère à son mari afin qu'il l'aide à lutter contre ce sentiment intolérable. Et qui, même lorsque celui-ci décédera sous le poids de la jalousie, persistera à renoncer à l'homme qu'elle aime pour honorer sa mémoire. Lorsque le Duc fait un pas vers elle, elle se dérobe, n'attisant alors jamais ses sentiments et dissimulant précieusement les siens. Finalement, toujours pleine d'esprit et soucieuse de respecter les bienséances de la cour, elle expliquera son refus au Duc de Nemours par la volonté d’honorer la mémoire de son défunt mari mais également pour fixer cette passion dans l'éternité, affirmant que les amours consommés s'altèrent.
Bon, bien entendu avant d'apprécier la psychologie de la Princesse de Clèves il faut déjà s'être farci un début exaspérant, entre la présentation des protagonistes en "elle était une beauté parfaite", "il était l'homme du monde le mieux fait et le plus beau" (gare à l'indigestion d'hyperboles), ainsi que l'énumération d'une centaine de nobles composant le cercle du Roi. Alors évidemment c'est étouffant, mais je pense qu'on peut y déceler la volonté de Madame de Lafayette de transcrire ce que pouvait être l'atmosphère oppressante de la cour. Cette idée que tout le monde se surveillait, prêt à exclure leur prochain au moindre faux pas au nom de conventions sociales ultra sophistiquées.
En fin de compte, on est bien heureux que cette Princesse ait choisi d'exister par elle-même, loin de la cour et sans la présence d'un homme à ses côtés. Elle s'est fixée en modèle de vertu, et elle est parvenue à s'y tenir jusqu'au bout. Gloire à elle.
Cela en dit long d'ailleurs sur l'époque et les mœurs qui habitaient la cour de Louis XIV. Comme si Madame de Lafayette, face à toute cette préciosité apparente, vraisemblablement élaborée dans le but de mieux dissimuler les vices de ses intéressés, avait eu besoin de s'inventer un modèle, un personnage noble et digne d'un amour idéal.
Une histoire de devoirs donc.
Tout d'abord celui d'une femme mariée, puis celui de la mémoire et de l'honneur.
Il semblerait que Sarkozy ait bien choisi son livre pour cracher son venin...