C'est visiblement un Deon Meyer en colère, excédé par la kleptocratie sud-africaine (le mot est écrit à plusieurs reprises), celle du président Zuma, pour ne pas le nommer, qui a signé La proie, l'un de ses meilleurs livres à ce jour, tout autant polar survitaminé que brulot politique. Le roman est bâti autour de 2 intrigues qui ne se croiseront que vers le dénouement, avec une grande maîtrise narrative. Entre Bordeaux et Le Cap, en passant par Amsterdam et Paris, l'auteur plante longuement et successivement le décor de ses deux histoires, avant de les alterner rageusement, plus le livre et l'action progressent, comme un cœur qui battrait de plus en plus vite. La manière est remarquable, le fond ne l'est pas moins, détaillant comment fonctionne une "démocratie" corrompue et sous influence, héritage putride des années Mandela. Les personnages sont toujours aussi attachants, à commencer par son duo familier d'enquêteurs Griessel et Cupido, aux prises avec des problèmes personnels, sentimentaux, entre autres, qui viennent alléger les trames policière et politique du récit. Deon Meyer n'oublie jamais d'humaniser ses protagonistes, à la façon d'un Mankell ou d'un Indridason, et c'est encore plus vrai avec le dénommé Daniel Derrien, réfugié en France, qui va reprendre du service comme au temps de l'apartheid, puisque la période est presque aussi désastreuse. A noter que les pages consacrées à ses déambulations dans Bordeaux sont d'une précision redoutable, témoignant d'un amour non dissimulé pour la capitale girondine. Malgré un final un peu précipité, La proie est un millésime de haute volée de Deon Meyer, un écrivain qui semble incapable d'écrire un mauvais livre. Les plus curieux auront remarqué que son roman précédent, Die vrou in die blou mantel, n'a toujours pas été traduit en français. Serait-il moins brillant que les autres ? Le mystère ne devrait pas tarder à être levé, espérons-le, si Gallimard le veut bien.