Dépoter-(Ranpo)ter

Vous envisagez le crime parfait ? Vous n’êtes certes pas le premier ni le dernier à vous intéresser à ce problème. L’assurance que vous affichez captive notre attention. Si vous le permettez, réfléchissons ensemble à l’élaboration de votre petite entreprise. Vous pourriez vous contenter de dérober le magot que vous convoitez. Tuer sa détentrice l’empêchera de parler, mais il peut toujours se présenter quelque témoin inattendu. Vous avez repéré les lieux et savez à quel moment vous y prendre pour opérer en toute discrétion. Vous n’avez vu votre victime qu’une seule fois, chez elle, grâce à un ami à vous. C’est cet ami qui vous a informé que la personne en question détient un magot qu’elle se contente de cacher. Pourquoi laisser dormir cet argent alors que vous en auriez l’usage ? Finalement, tuer sa légitime propriétaire ne vous pose aucun problème moral.

Nous commençons à avoir une idée de votre profil psychologique !

J’ajoute que, puisqu’on parle d’un ami à vous, il ne peut évidemment pas s’agir de moi. En un mot, vous êtes un cynique qui ne voit que son intérêt, puisque vous êtes capable de tuer une « innocente » puis de laisser un ami accusé à votre place. Mais restons pragmatiques, le mieux est de ne pas tout prendre et de placer ce qui vous intéresse dans un endroit où vous ne risquez pas d’être tenté de vous en servir prochainement. Puisqu’il y aura un cadavre et un assassinat, il y a aura une enquête de police. Or, vous le savez aussi bien que moi, les policiers connaissent les stratagèmes humains les plus tordus. Vous devrez vous préparer psychologiquement à affronter un interrogatoire en règle et même une confrontation avec votre ami innocent. Pour passer ce test qui sera aussi révélateur qu’un détecteur de mensonge, vous devrez vous arranger pour répondre aussi naturellement que possible. Bien entendu vous connaissez le dicton populaire qui dit « Chassez le naturel, il revient au galop » vous devrez donc faire en sorte que votre attitude apparaisse comme un naturel innocent. La moindre appréhension, la moindre hésitation sera observée et analysée. Il vous reste à assumer le fait que si vous jouez avec la vie des autres, vous devez être capable de jouer avec la vôtre.

Voilà qui est palpitant, le suspense est à son comble. Le face à face avec le policier qui vous testera sera très certainement mémorable. Attention, aucune question ne sera anodine. Vous êtes prêt à assumer votre culpabilité, quelles qu’en soient les conséquences ? Allez-y, pauvre inconscient. Mais laissez-moi vous dire que vous valez moins qu’un certain Raskolnikov. Qui sait, peut-être aurez-vous un jour le temps de faire sa connaissance ?

Tout ce qui précède concerne Le test psychologique nouvelle policière d’une trentaine de pages qui est un complément pour La proie et l’ombre œuvre ayant largement (et à juste titre) contribué à la réputation d’Edogawa dans le domaine de la littérature policière. Malgré leurs différences, ces deux enquêtes criminelles sont à mon sens de même valeur. L’auteur s’y montre fin connaisseur de la psychologie humaine. S’il m’est impossible d’évaluer la qualité de la traduction, Edogawa est clairement un maître du langage et de la narration, car il emmène le lecteur où il veut.

Bref, ça dépote chez Ranpo !