Marie Nimier est la fille de l’écrivain Roger Nimier. Celui-ci était le chef de file du mouvement littéraire dit des « Hussards » en référence à son roman emblématique Le hussard bleu (1950). Roger Nimier s’est tué le 28 septembre 1962 au volant de son Aston-Martin, alors qu’il était en compagnie de Sunsiaré de Larcône, belle jeune femme ayant le besoin de se mesurer constamment au danger. Roger Nimier était d’un caractère inégal. Fantasque aux inspirations fulgurantes, il avait peu de goût pour la vie familiale et n’aimait pas être photographié en compagnie de ses enfants.
A la mort de son père, Marie Nimier avait 5 ans et elle était en pension. Autant dire que le souvenir qu’elle garde de son père est vague.


Marie Nimier écrit parce qu’elle éprouve le besoin de se confronter à la figure écrasante de son père. C’est une sorte de fantôme inattaquable, au vu de sa réputation. Mais, dans sa vie personnelle, Roger Nimier était du genre insaisissable. Le lendemain de la naissance de Marie, il a écrit une courte lettre provocatrice :


Au fait, Nadine a eu une fille hier.
J’ai été immédiatement la noyer dans la Seine pour ne plus en entendre parler. A bientôt j’espère. Roger Nimier.


Marie conserve aussi une carte postale que son père lui a adressée (savait-elle seulement lire à ce moment-là ?) :


QUE DIT LA REINE DU SILENCE ?


La Reine du Silence est le surnom donné à la petite Marie par son père. Marie ainsi piégée ne savait pas comment réagir. Plus tard, elle écrit (affirme) que son père ne voulait plus entendre parler d’elle, à moins que ce ne soit tout simplement ne plus l’entendre parler. Or, comme son père, Marie a fini par écrire des romans, en personne s’exprimant sans pour autant ouvrir la bouche. Comme si elle avait enfin trouvé la parade à la provocation de son père.


On apprend que Marie s’est jetée dans la Seine, un soir, du pont de l’Alma. Quelqu’un l’a vue et l’a sauvée. Pourquoi voulait-elle mourir ? Elle a été incapable de le dire. Héritage familial ? Ou bien, a-t-elle cherché inconsciemment à prendre son père au pied de la lettre ?


Après tout, même si ce n’était que des mots, son père a manifesté son désir de la noyer dans la Seine.


On réalise que l’absence du père a été un élément déterminant pour Marie. Comment aurait été sa vie si son père avait vécu ? Roger Nimier était en train de se séparer de la mère de Marie. On devine la suite possible, sachant que la très belle Sunsiaré qui venait de signer chez Gallimard, avait annoncé avant de monter dans l’Aston-Martin qu’elle allait enfin savoir ce que Roger Nimier avait dans le ventre. Certains ont même échafaudé des hypothèses sur cet accident sans cause apparente.
Marie Nimier écrit ce récit comme une enquête sur son passé familial.


Elle apprend qu’un manuscrit de son père (qui avait décidé, sur les conseils d’un ami écrivain, de suspendre son activité de romancier … ami bien intentionné ??) serait prochainement mis en vente aux enchères. Elle tente également de retrouver le fils de Sunsiaré.


Et puis, Marie Nimier se raconte en même temps qu’elle écrit cette quête sur ses origines. Elle tente vainement de passer son permis de conduire. On sent qu’elle est fébrile au volant, comme si elle avait peur de se retrouver dans la situation qui a coûté la vie à son père. Cela a des côtés amusants quand elle raconte ses leçons, puis ses échecs successifs à l’épreuve de conduite.


Particularité de sa façon d’écrire, parfois Marie Nimier écrit quelques phrases en disant tu. Qui est ce familier à qui elle s’adresse alors ? Le lecteur ? On pense à son père, sorte d’incarnation possible de sa conscience. Et on se demande si ce n’est pas tout simplement elle-même qu’elle prend ainsi parfois à partie. Elle détaille aussi certains points en apparence insignifiants, expliquant par exemple sa façon de choisir des mots.


Comme son histoire familiale la travaille, elle a décidé d’en faire un livre. A ce titre, elle se permet de raconter tous ses états d’âme. Franchement, si son histoire présente des aspects intéressants et troublants, l’aspect introspection m’a laissé perplexe à certains moments. Puisque le récit est publié, le lecteur ne peut que le considérer comme une œuvre littéraire (d’autant plus que Marie Nimier a déjà 8 romans à son actif). Disons que c’est le « prix à payer » pour la lecture d’une autobiographie. Marie Nimier ne se contente pas d’exploiter sa condition de fille de, elle propose une vraie œuvre littéraire au style agréable. En quelques heures, on en apprend pas mal sur Roger Nimier, personnalité étonnante de la littérature française.

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le 28 mai 2016

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