L'éducation sentimentale...dans un couvent.
Ce que j’apprécie le plus dans les écrits de Denis Diderot, c’est sa narration. Il est le maître de la 1ère personne du singulier et s’amuse avec le lecteur et sa crédulité. Il fait passer tous ces récits pour des vérités qui n’en sont pas. C’est sa marque de fabrique en somme. Ici, c’est une grande lettre de Suzanne écrite à un marquis. On ne le connaît pas, mais on comprend qu’elle cherche en lui de la bienveillance. Son propos est donc à la fois humble mais très misérabiliste. Et si vous allez jusqu'au bout, vous aurez des doutes sur l'objet de ce livre, inspiré ou non d'une histoire vraie ?
Si «La Religieuse» avait été écrit par Rousseau, il est certain que je ne l’aurais pas ouvert. Non que je déteste cet auteur, mais il faut avouer qu’avec un tel titre, on a nécessairement une flambée d’images et d’idées sur le sujet qui va être abordé.
Forcément, ce roman évoque le parcours d’une religieuse aux XVIIIème siècle. On suit la vie d’une pauvre âme obligée d’entrer dans les ordres à cause de la bienséance de la société bourgeoise (une éducation religieuse, un adultère, une beauté enviable, un problème d’héritage...). Mais cette fille refuse coûte que coûte de devenir bonne soeur et elle subit les affres physiques et psychologiques de ces comparses et de la société civile qui brandit la loi face à la particularité de sa situation.
Alors qu’elle croit avoir échappé à ses bourreaux, elle découvre un autre démon dans la découverte de la sexualité. Et c’est là que le récit est le plus intéressant. Autant, le roman est parfois excessif dans les descriptions des sévices physiques de la jeune fille, autant, l’approche sensuelle et érotique de la relation entre Suzanne et sa supérieure est très finement amené. Diderot évoque un sujet délicat : l’amour lesbien. Et l’innocence de Suzanne est parfaite pour émoustiller les lecteurs. Il faut avouer que cette partie du livre est criante de modernité et d’actualité.
J’imagine très bien que l’objectif de Diderot était de dénoncer le système religieux catholique. Car au final, la société hiérarchique que l’on critique à l’époque (des Lumières), se retrouve aussi dans ce monde là. Les hommes et les femmes sont les mêmes, que ce soit dans la vie civile ou religieuse. Les instincts reviennent, jalousie, amitié, confiance, déloyauté, vengeance, justice, amour... Et puis, la réclusion religieuse a cela de particulier qu’il émane un mystère et des visions parfois troubles de ce qui se passe dedans. Diderot ici se fait un malin plaisir d’exacerber les fantasmes de ses lecteurs avertis.
De manière générale, «La Religieuse» est un livre qui se lit bien. L'écriture est fluide et assez simple. L’histoire n’est pas extraordinaire et avance parfois un peu trop lentement dans la première partie du livre. Mais pour le plaisir de lire Diderot, il vaut la peine d’être ouvert.