Je précise qu’il s’agit ici plus d’une présentation du livre que d’une véritable chronique car si j’ai lu deux fois cet ouvrage la dernière fois remonte à plus de 20 ans.
« La révolution inconnue » est l’ouvrage de référence, l’oeuvre majeure et incontournable, écrit par un militant libertaire sur la révolution russe et surtout une révolution racontée de l’intérieur car Voline y a participé.
Voline est un militant anarchiste russe actif notamment dans le mouvement makhnoviste (1) où il fût instituteur mais aussi déjà actif dans le premier soviet de Saint Petersboug lors de la Révolution en 1905, puis après 1921 exilé en France où il est mort à Paris en 1945 (11 ans après son ami Makhno – ils reposent d’ailleurs tous les deux au Père Lachaise).
Il fut parmi les principaux animateurs de la tendance synthésiste du mouvement libertaire (avec Sébastien Faure), synthèse regroupant les trois tendances anarchistes (communiste libertaire, anarcho-syndicaliste, et anarchiste individualiste) alors que Makhno et Archinov étaient eux dans la tendance opposée dite plateformiste, tendance née de la plateforme organisationnelle rédigée par Archinov (2), qui préconisait une organisation plus « directive ».
Quelques uns des principaux thèmes abordés par l’auteur dans ce vaste ouvrage (parmi d’autres) :
Voline montre comment sous l’influence entre autres de la Commune de Paris 1871 la première Révolution Russe de 1905 a émis l’idée de soviets (conseils ouvriers), idées reprise en 1917.
Comment ces soviets conçus pour être démocratiques, représentants des travailleurs ont été confisqués et trahis dès 1918 par les Bolchéviks qui les ont transformés en dictature du prolétariat (et de fait en dictature des bolchéviks).
Comment deux conceptions de la révolution prolétarienne et du communisme s’opposent et s’affrontent, celle autoritaire et celle libertaire.
Comment dès 1918 les opposants révolutionnaires notamment les anarchistes et les socialistes révolutionnaires de gauche (très présents dans la paysannerie) furent réprimés et éliminés, alors que ces courants étaient importants (mais souvent mal organisés).
Comment les bolchéviks ont anéanti le mouvement makhnovistes (communistes libertaires) en Ukraine.
Comment l’avant garde du PC se transforme entre 1917 et 1921 en bureaucratie puis en élite, dirigeant tous les secteurs politiques et économiques du pays.
Comment le communisme d’État voulu par Lénine s’est transformé en Capitalisme d’État notamment suite à la N.E.P (nouvelle politique économique) mis en place en 1921.
Comment les bolchéviks ont sacrifié la forteresse de Kronstadt, tenue par les marins et symbole de la Révolution d’Octobre et du mouvement révolutionnaire russe, écrasés en 1921, dernier sursaut d’un communisme se voulant démocratique et qui marque définitivement la fin de la Révolution.
Comment l’armée rouge s’est transformé en véritable armée avec à sa tête d’anciens officiers tsaristes.
Comment a été créée la Tchéka, police secrète (future Guépéou et KGB).
Car la répression n’a pas commencé sous Staline même si elle pris une autres dimension mais bien sous Lénine et Trostky une fois les ministres S-R de gauche partis du gouvernement et cette répression s’est faite en parallèle avec la reprise en main des soviets.
A lire en complément à Ida Mett « la commune de Kronstadt », Rudolf Rocker « les soviets trahis par les bolchéviques », Alexandre Skirda (divers ouvrages sur Makhno et Kronstadt notamment) Nestor Makhno bien sûr, Piotr Archinov « l’histoire du mouvement « makhnoviste », Alexander Berkman « le mythe bolchévik » et Emma Goldman « l’épopée d’une anarchiste » pour ne citer que des auteurs anarchistes (on peut rajouter Paul Avrich, historien du mouvement anarchiste « la tragédie de Kronstadt »).
Car malheureusement cet essai montre aussi que les libertaires bien que nombreux étaient orphelin d’une discipline et d’une organisation qui elles ne faisaient pas défauts aux léninistes.
Car les anarchistes en plus d’être parfois divisés n’avaient pas de réelles organisations nationales hormis quelques journaux ou revues et cette révolution russe a posé le problème des libertaires et de l’organisation, problème qui demeure encore d’actualité car les anarchistes n’en ont malheureusement pas tiré les leçons et les enseignements nécessaires.
Car la désorganisation qui est la gangrène des libertaires depuis 150 ans (sauf en Espagne en1936/37) est un peu survolé rapidement par Voline et surtout il n’en tire pas de réelles leçons ; on ne lui en voudra pas de parler prioritairement des aspects positifs du mouvement makhnovistes qui lui était relativement bien organisé mais ce qui était loin d’être le cas à Moscou ou Petrograd (Saint Petersbourg).
Car si Voline montre bien les divergences idéologiques (mais aussi « pratiques ») importantes entre léninistes et libertaires il ne propose pas d’analyse pertinente sur la fait qu’en 1917/18 en Russie ou en Espagne 36/37 les anarchistes ont dû plier face aux bolchéviks.
Ceux qui trouveront cette chronique superficielle auront raison, elle l’est (j’ai expliqué pourquoi). Et de fait je ne peux pas aborder tous les points soulevés par cet essai.
Malgré tout les anarchistes ont été les premiers à faire (dès 1921 pour Rudolf Rocker) une critique de gauche au bolchévisme. On ne le redira jamais assez.
Le but c’est juste de donner envie aux gens de lire cet ouvrage, essentiel, indispensable, bien documenté (une mine d’informations et de témoignages), détaillé et qui amène une vision de l’intérieur (d’un point de vue libertaire donc qui ne se veut pas objectif), une autre vision par rapport à la vision marxiste (quelque soit les tendances hormis celle des communistes de conseils qui rejoints souvent celle des libertaires d’ailleurs– voir Otto Ruhle) ou celle libérale ou conservatrice hostile à l’idée de Révolution prolétaire et qui permet de comprendre l’évolution de la Révolution, le cours tragique qu’elle a pris entre 1917 et l’avènement de Staline.
« Staline « n'est pas tombé de la lune ». Staline et le « stalinisme » ne sont que les conséquences logiques d'une évolution préalable et préparatoire, elle-même résultat d'un terrible résultat, d'une déviation néfaste de la Révolution. Ce furent Lénine et Trotsky - c'est-à-dire leur système — qui préparèrent le terrain et engendrèrent Staline. Avis à tous ceux qui, ayant soutenu Lénine, Trotsky et consorts, fulminent aujourd'hui contre Staline : ils moissonnent ce qu'ils ont semé » (Voline)
(1) mouvement insurrectionnel d’obédience libertaire en Ukraine 1917-1921 du nom de son « leader » Nestor Makhno
(2) d’où quelques tensions parmi les exilés russes dont beaucoup se trouvaient à Paris : Archinov, Mett et Makhno allant du côté des plateformistes lancés d’ailleurs par Archinov…, Voline étant dans l’autre tendance.