PROLOGUE
29 mars 2014 : visionnage de The road de John Hillcoat, avec Viggo.
30 mars 2014 : écriture d’une critique (1) ; j’en lis d’autres, quelques échanges, j’apprends que le film n’est rien face au roman. Entre autres, lecture de la lumineuse critique de SanFelice (2).
16 avril 2014 : école buissonnière, achat du bouquin, loin de chez moi, au bout de la route qui m’amena ce jour-là à Chambéry. Fontaine aux éléphants, fraîcheur malgré le soleil. En poche, malgré la couverture (photo du film, avec Viggo).
17 avril 2014 : premiers doutes avant de commencer. Est-il possible de se dégager des images retenues du film ? De lire le roman en oubliant les critiques positives ? Non. Cette lecture sera plus subjective que d’autres, forcément. Ceci étant dit, elles le sont toutes. Vais-je oser commencer ? Ou remettre à plus tard ?
19 avril 2014 : pas encore l’esprit disponible, trop de questions dans ma tête aujourd’hui, qui n’ont rien à voir. Je n’arrive pas à me dépêtrer du film.
JOURNAL D'UN CHEMINEMENT
20 avril 2014 : difficile de dépasser l’incipit, je vois de suite la forêt du film… Difficile de quitter cette image et d’entrer dans le roman… On verra plus tard.
21 avril 2014 : Décidément, difficile cette première page, le glaucome et la taie, un rêve obscur dans lequel il n’est pas aisé d’entrer, métaphore encore absconse. Ne pas lâcher, poursuivre le chemin, continuer de lire. On comprendra plus tard, sûrement. La route va être longue.
25 avril 2014 : c’est parti, dépassé les premières lignes ça va bien : vingt pages de lues aujourd’hui. Vingt pages seulement. Pas convaincu pour le moment, peut-être un effet lié à ma volonté d’annihiler l’initiale subjectivité positive par une posture empreinte non d’hostilité mais de réticence ou plus précisément d’attention critique. La route va être longue.
26 avril 2014 : impossible de ne pas repenser au film, de voir les différences, d'attendre ce qui ne viendra pas, de constater que McCarthy diverge d'Hillcoat, il aurait pu faire, un effort, merde !
28 avril 2014 : le doute se dissipe. Maintenant, j’opine, on a là un écrivain, un vrai. Des phrases ciselées, des images lumineuses. Si on avance par imprégnation, le décor est vite posé. L’homme et la nature. L’homme et le divin. Il y a de l’universel dans ce récit. La précarité. La valeur des chaussures. Si c’est un homme ? Si c’est un Dieu… Quelle voie suivre quand est en jeu sa propre survie ? Et celle de son enfant. Quelle éthique ? Ou est le bien ? Est-il encore seulement possible ? Peut-on alors être pour les autres autre chose qu'un loup ? Faut-il se défendre ? Comment ? Jusqu’où, et surtout, pour quoi ? Décidément, tous les chemins ne mènent pas à Rome.
29 avril 2014 : pas le temps de lire, de finir le bouquin, je suis sur la route aujourd’hui, toute la journée, pour Brest…
EPILOGUE
30 avril 2014 : no country for old men ?
J'ai retrouvé mon père. Il est mort, c’était le premier février 2014, mais aujourd’hui je l'ai retrouvé. On l’avait jeté à l'eau, c’était juste un moment magnifique, j’en ai déjà un peu parlé (3). Aujourd’hui, à mon tour, je me suis jeté à l'eau un instant pour le retrouver, pour gagner le sentiment que rien n'est tout à fait perdu, pour gagner le sentiment qu'il sera toujours là, avec moi. Me rassurer, savoir enfin que je pourrai toujours le retrouver. Qu’il n’est pas vraiment perdu.
Je n'ai pas été nu comme Viggo, enfilé seulement un simple maillot, mais comme dans La Route, j'étais seul sur la plage, il faisait froid, il pleuvait même. J’ai regardé après dans le journal, l’eau était à douze degrés. Je me suis jeté à l'eau, dans cette mer qui est tant pour moi, sur cette plage capitale qui symbolise encore pour moi l’enfance perdue. J’ai frissonné un bon coup, regardé la falaise, seul en pleine nature. Mon père est mort, mais je peux quand même continuer à vivre, pas seul au monde, mais accompagné par lui. Je suis un peu dans La route, le roman est là, le père et le fils sont là, mon père et moi-même sommes là, la mort est là, mais aussi la vie, qui continue. Mon monde n'est pas celui de McCarthy, dieu merci. Le gris de la brume « écossaise » qui plane sur Trézien ce 30 avril n'est pas celui du roman, mais plutôt l'espoir d'un renouveau : le gris, ici, n'est pas éternel, il faut d'autant plus continuer de porter le feu... .
Août 2014 : besoin relire La route. Ces pages me parlent. Vu mon histoire, j'aurais aimé un jour que mon père sache me dire quelques uns de ces mots que j’ai pu lire.
Septembre 2014 : on the road again
Maintenant que je le relis, passée la première page, le talent m’apparaît davantage, c’est bien rythmé, et il n’y a pas un mot de trop. Maintenant, il n’y a rien à dire. Non, plus rien. On est toujours sur la route, mais j’ai fini ce que j’avais à faire. Je n’oublierai pas ce dont j’ai besoin de me rappeler. Merci Cormac.
12 février 2015 : je me souviens, forcément, c’était il y a un an. Je sais que je n’ai pas fini la route. Je suis encore là, mais je n’ai pas fini le travail. La « critique », je ne l’avais pas finie : garder ce trente avril pour moi, d’abord. Le partager, maintenant. Je vais m’arrêter là, je crois que j’ai bien avancé.
(1) http://www.senscritique.com/film/La_Route/critique/31507630
(2) http://www.senscritique.com/livre/La_Route/critique/26979305
(3) http://www.senscritique.com/morceau/Insanity/critique/30340025