La Route de Los Angeles par BibliOrnitho
Nous sommes en Californie, dans les années 30. Le spectre de 29 est encore très vif. L’ambiance a un petit quelque-chose de Steinbeck, renforcé par l’évocation de la ville natale du romancier (Salinas) en tout début de livre. Arturo Gabriel Bandini vit à deux pas de L.-A. avec sa mère et sa sœur Mona. La famille n’est pas riche et vit (ou survit) en grande partie grâce à l’aide de l’oncle Franck, le frère de la mère. Car ce ne sont pas les petits boulots qu’Arturo ne garde pas qui mettent du beurre dans les épinards…
Arturo est en effet un gamin impossible. A 18 ans, il est fainéant, menteur, mythomane, fier, vaniteux, prétentieux, narcissique, hautain, envieux, haineux, ridicule, pathétique, insultant, blessant, xénophobe (alors qu’il est lui-même d’origine italienne), puérile, fétichiste… Il prend tout le monde de haut, a un sérieux complexe de supériorité et parce qu’il lit beaucoup, confond « culture » et « intelligence ». Il passe son temps à invectiver son entourage (mère, sœur, collègues, chefs) en leur balançant au visage les noms de Nietzsche, Schopenhauer ou Kant, auteurs qu’il passe son temps à lire sans réellement les comprendre.
Arturo est un oiseau de proie. Tout lui est dû. Il prend ce qu’il convoite. Se sert, ne demande pas, vole. Un petit gars tout à fait détestable qui va de place en place et que personne ne souhaite garder. Par cette attitude délétère, il s’enferme dans une profonde solitude qu’il supporte chaque jour plus difficilement. Grâce à l’intervention d’oncle Franck (qui ne se fait guère d’illusion sur son neveu), Arturo entre à la conserverie de poisson. Le boulot à la chaîne est suffocant, épuisant, aliénant. Il est le seul « blanc » parmi un personnel sans qualification. Arturo, une nouvelle fois pérore, harangue. Ecrase. Il n’est là que pour recueillir de la matière pour son prochain livre. Un livre sur les conditions de travail des immigrés, sur l’industrie en Californie. Que les ouvriers ne s’y trompent pas : il n’est pas l’un des leurs !
En parallèle de ce travail rémunéré, Arturo écrit. Il est un grand écrivain dans l’âme. Un génie incompris bien décidé à s’en sortir malgré tous les autres. Car le génie refuse la fatalité. Il écrit de façon frénétique, un peu désordonnée. Il jette ses idées dans un roman reflétant ses propres fantasmes : le héros est richissime faisant le tour du monde sur son yacht à la recherche de la femme idéale.
Sur la route de Los Angeles est un roman provoquant. Une écriture très crue, violente qui décrit magnifiquement la folie du personnage principal. Un personnage qui a tout du psychopathe. Lui qui exècre la religion et ses bigots, il se compare au Christ (il s’invente un père charpentier) : un prophète à la destinée éblouissante. Un personnage tourmenté qui déteste tous ceux qui lui ressemblent peu ou prou. Il se déteste probablement lui-même malgré la haute opinion de lui qu’il professe à chaque instant.
Impossible de m’identifier au héros que j’ai détesté ou plaint selon les chapitres. Un héros qui m’en rappelé un autre que je n’ai pas plus aimé : Ignatius Reilly (La Conjuration des imbéciles). Un livre dans lequel je ne suis jamais entré pleinement et duquel je suis heureux d’être sorti. Une lecture que je ne regrette pourtant pas. Je suis heureux d’avoir découvert l’univers tourmenté de John Fante.