Attention, ne surtout pas se fier à la jolie couverture de La route étroite vers le nord lointain. Le roman de Richard Flanagan n'est vraiment pas une bluette. Tout au contraire, il s'agit d'une histoire de sueur, de sang et de larmes dont le sujet central est la construction de "La Ligne", ce projet démentiel de l'armée japonaise d'édifier une voie ferroviaire entre Siam et Birmanie, au coeur de la seconde guerre mondiale, avec un millier de prisonniers australiens pour main d'oeuvre. Cela vous rappelle quelque chose ? Oui, Le pont de la rivière Kwai, mais le film de David Lean, à côté du livre de l'écrivain tasmanien ressemble à une aimable promenade de santé, tellement les descriptions témoignent dans le roman de l'inhumanité de cette entreprise entre maladies (dysenterie, choléra, typhus, dengue), épuisement des "ouvriers", faim permanente et brimades systématiques. C'est à un portrait de l'enfer que nous convie Richard Flanagan ( auquel son propre père a participé) avec au moins deux scènes insoutenables : celle d'une opération pour combattre la gangrène et celle d'une bastonnade abominable. Des cadavres en sursis, tels sont les héros de ce récit, d'une effrayante précision. Au milieu de cette géhenne se tient un homme, médecin et responsable de ses hommes, Dorrigo Evans. Mais le récit de l'auteur n'est pas qu'une histoire de survie : dans un montage vertigineux et cinématographique, Flanagan nous raconte la vie entière de Dorrigo : avant et après cette abominable expérience dont il ressortira vivant et marqué à jamais. La route étroite vers le nord lointain contient aussi une épiphanie avec l'amour de son personnage principal pour une femme, Amy, une passion courte et sublime mais interdite (elle est mariée, il est sur le point de l'être) et tragique. Autre thème développé par le romancier : celui de la mémoire, qui s'estompe et devient fantomatique avec l'impossibilité pour Dorrigo Evans de partager quoi que ce soit avec ceux qui n'ont pas vécu son traumatisme. Comment continuer à vivre après un tel cataclysme ? En faisant semblant d'exister encore, y compris auprès d'une épouse et d'enfants, dans la plus pénible des solitudes intérieures. Le roman, de plus en plus étonnant, suit aussi le destin de quelques uns des survivants de l'enfer y compris les bourreaux japonais ou coréens, aux prises avec leurs souvenirs et la peur au ventre de devoir répondre de leurs actes devant un tribunal de guerre. La route étroite vers le nord lointain ne lâche jamais son lecteur, l'entraîne vers des rivages insoupçonnés ou à des haïkus poétiques succèdent de véritables scènes d'horreur. La puissance du livre mais aussi son extrême sensibilité et sa capacité à fouiller les âmes sont époustouflants. Chef d'oeuvre est un mot galvaudé mais comment qualifier autrement ce livre d'une richesse thématique et d'une densité sans pareilles ?

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le 17 déc. 2016

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