Ce livre se trouvait dans ma librairie de ville moyenne. Librairie très désagréable : les libraires n'y affichent que les top ventes, vivent grâce à cela et aux établissements scolaires. Librairie épicerie. Le rayon poésie était un peu plus fourni que d'habitude : il y avait ce livre, en plus des habituels Rupi Kaur, Arthur Teboul et Cécile Coulon. Alors, pourquoi pas ? Une préface de Nancy Huston, Le Castor Astral, visiblement un propos à tenir sur la guerre : alors, pourquoi pas ?
J'aime beaucoup Nancy Huston. Sa préface est vraiment mauvaise. Elle mentionne que Cyril Dion est son ami ; on comprend alors qu'elle n'a pas osé refuser de faire une préface ; elle compense semble-t-il son peu d'attrait pour les poèmes par des dithyrambes exagérés.
La postface, "Carte d'identité poétique", est écrite avec les pieds. Par qui ? Cyril Dion lui-même, à ce qu'il paraît, vu l'abondance de détails intimes ; parler de soi à la troisième personne ne lui fait semble-t-il pas honte.
À partir de "Traversés" (p.73), on passe à des poèmes plus nets, instapoésie de base comme en publient des centaines de gens. Cela peut être bien, là n'est pas le propos. Cyril Dion peut la voir publiée parce qu'il est Cyril Dion, pas par la qualité de son oeuvre, semblable ou inférieure à celles de bien d'autres Instagrammeurs. Parmi les traits caractéristiques : proximité avec le haïku (choses naturelles vues et "qui font du bien") ; amour vague pour une personne non directement nommée ; tristesse face à la société industrielles ; bref, le contenu habituel du jeune poète dans les années 2010-2020 ; on attendrait plus d'un adulte, mais passons.
La première partie, "Assis sur le fil", est plus ambitieuse, car narrative et formant une unité à part, en trois partie. Les poèmes sur le corps forment une introduction sympathique au recueil. On y croit encore, vraiment j'ai cru que c'était un recueil valable, et ce même dans la deuxième partie, "le jour", et même malgré le poncif "le métro c'est moche et ça pue, je préfère le grand air". Avec, en fond, le mépris de classe et le mépris des travailleurs qui suinte à chaque page. Mais le bouquet d'horreur, c'est la troisième partie, "l'horizon". Le poème "autour de la ville" (p.56-57) nous fait plonger dans ce qu'il y a de pire dans l'écologie bourgeoise : l'auteur a pris l'avion pour aller dans la nature et nous faire des leçons depuis sa vertigineuse consommation de CO2 ; il voit des filles qui enlèvent leur voile à la maison et "Comme j'aimerais les serrer contre moi / comme je voudrais les entourer de mes bras, de mes mains" (publicité ambulante pour la pensée décoloniale) ; et la grande sagesse qui apparaît à la page suivante (p.57) : "Leur simple dénuement tranche avec la misère de nos villes." Voilà. Un pauvre oriental est un bon pauvre, un pauvre occidental est un mauvais pauvre. Rien ne va. L'exotisme, avec son approbation de la pauvreté et son érotisme dégueulasse, tout y est.
Quand on a lu un autre livre récent de poésie de voyage, "L'Éducation géographique" de Pierre Vinclair, qui justement a pour but d'éviter tous ces clichés rances (et c'est donc une poésie difficile d'accès, parce qu'il faut travailler la langue, et réfléchir, ce dont l'écologiste de salon s'est visiblement dispensé), on ne peut qu'être abasourdi devant la bêtise générale de Cyril Dion . Sylvain Tesson, qui écrit de la même manière, a au moins la décence de ne pas se prétendre une figure de gauche. L'orientalisme de gauche fait visiblement encore recette. C'est très pénible à lire.