Quel ouvrage exaltant et foisonnant! Du grand Philip Roth. Il s'agit d'un roman polyphonique, aux personnages profonds et fouillés, et où sont abordés des thèmes graves tels que la ségrégation ou bien encore les conséquences dévastatrices de la guerre du Vietnam. À travers eux, l'auteur interroge l'identité même de l'Amérique des années 1990, au moment où éclate le scandale Clinton-Lewinsky. Et ce qui transparaît est cette fameuse tache évoquée par le titre, cette marque indélébile, cette souillure inhérente à l'âme humaine depuis des générations. Roth n'est pas tendre avec ses personnages. Il les donne à voir sous leur facette la plus noire ou du moins la plus subversive, sans pour autant négliger de leur fournir des circonstances atténuantes. Au lecteur de s'ériger en juge s'il en a le courage ou plutôt l'audace. Cette richesse des personnages est nourrie par une langue protéiforme et labile et on ne peut que saluer ici le travail d'orfèvre de la traductrice.
Philip Roth dresse donc le portrait d'une Amérique qui se fourvoie, croyant avoir pansé ses plaies alors qu'elles sont encore purulentes. Il le fait à l'échelle de la société à travers Coleman Silk et Les Farley, et à une échelle plus individuelle à travers Delphine Roux et Faunia. En ressort toujours la question de l'identité, de la liberté, de la revendication d'être soi envers et contre tout, à n'importe quel prix.
Le destin de ces êtres m'a profondément émue. Soumis aux soubresauts de l'Histoire, ils se sont battus avec rage et pugnacité pour tenter de tracer leur propre chemin loin des sentiers battus. Certains y sont parvenus, d'autres ont été emportés par la vague impitoyable du destin, monstre anthropophage dont la nature a été si bien révélée par les auteurs classiques, auteurs dont Coleman Silk s'est fait le chantre. Ici, guère de dénouement heureux, de deus ex machina venant dénouer le noeud. Juste la plume de Nathan Zuckerman venant rétablir la vérité des faits.
De la grande littérature.