Comment écrire une chronique sur un tel ouvrage? Exercice délicat s'il en est. Je vais tout de même m'y risquer. Le lambeau est le récit d'un survivant de l'attentat de Charlie Hebdo, Philippe Lançon, qui relate sa longue convalescence suite à ce tragique évènement. En compagnie de ses auteurs favoris, Thomas Mann, Kafka, et surtout Marcel Proust, il va tenter d'écrire une nouvelle version de la Recherche, non plus du temps perdu mais du temps suspendu, interrompu. Il n'y a pas d'avant et d'après l'attentat, seulement le moment présent avec ce qu'il peut avoir de douloureux, d'angoissant, de nostalgique, d'apaisant aussi. De chambre en chambre, de bloc opératoire en bloc opératoire, le lecteur découvre la résilience de l'auteur. Il y a une forme d'exubérance de la mémoire et en même temps un caractère lacunaire de cette dernière autour de l'évènement traumatique à l'exception de quelques images vivaces. Ce n'est pas tant le récit d'une reconstruction que celui d'une mue, d'une métamorphose, Philippe Lançon devenant Monsieur Tarbes. Il écrit non pas pour se lamenter ou livrer des détails sordides, mais pour effacer comme il le fait avec son ardoise alors qu'il ne peut plus parler ayant reçu une balle dans la mâchoire. Écriture thaumaturgique et salvatrice, lieu de mémoire et paradoxalement d'oubli.
De la Pitié-Salpêtrière à l'hôpital des Invalides, c'est aussi un hommage à tous ceux qui ont été présents à ses côtés: chirurgiens, kinésithérapeutes, infirmières, aides-soignants, policiers, amis, famille.
Ce peut être une expérience claustrophobique car tout se déroule en milieu hospitalier mais une expérience nécessaire pour comprendre ce que signifie être survivant. Car si nous étions tous Charlie en ces jours obscurs, personne n'était Philippe.